J'ai la nausée. Enfin pour être exacte, j'ai rendu mon petit déjeune à peine dix minutes après l'avoir avalé. C'est d'un glamour, tiens ! J'vais être propre pour me pointer à l'anniversaire de Princesse Calixte ! C'est en traînant les pieds et avec l'impression d'être sur un bateau en pleine tempête que je regagne ma chambre pour y finir ma nuit. Le reste, ça attendra.

C'est sur les coups de 19h que je regarde d'un œil critique mon reflet dans la glace. J'ai opté pour la sobriété d'une robe noire et d'un maquillage de soirée qui a le mérite d'effacer toute trace de cernes et autres conneries que je me traîne depuis quelques jours. À tous les coups, et avec le temps qu'il fait, j'ai encore chopé un virus. Un jour, ils auront ma peau ! Une fois dans l'entrée, j'ébouriffe les cheveux de Marcus qui ronchonne et fais un rapide état des lieux de ce que j'ai en ma possession : sac à main ok, escarpins aux pieds ok, un téléphone chargé cette fois, merci Cucus, ok, et surtout le cadeau. Minutieusement emballé dans un papier à motif pingouin, le lourd volume traitant des navires et batailles navales qui ont marqués l'Histoire rejoint le reste du bazar qui gît au fond de mon sac à main. Ce n'est qu'une fois en bas de l'immeuble que je rejoins Rosamund, avec qui je dois me rendre à la boîte où a lieu la fête. Elle est, comme toujours, ravissante et particulièrement bien habillée, toute en nuances et sobriété. Durant le trajet, nous discutons de choses et d'autres, nous racontons nos semaines, nos week-end et finalement, j'ai l'impression qu'il ne s'est pas écoulé plus de cinq minutes lorsqu'elle se gare devant la boîte de nuit la plus branchée du coin. Il y a déjà du monde et c'est avec un sourire amusé que je sors de l'habitacle. C'est bien Calixte, ça ! La folie des grandeurs dans toute sa splendeur !

À l'entrée, un vigile à l'aspect patibulaire contrôle minutieusement les sacs, les invitations et, à mon grand regret, les certificats de dépistage. Je déteste ces endroits où il faut préciser si oui ou non on est porteur du gène mutant. C'est personnel, intime, ce n'est pas le genre de choses dont j'aime me vanter et j'ai toujours le sentiment que cette information peut servir à n'importe qui pour nuire à un mutant ou, au contraire, à un non mutant. Si je tenais le con qui a décidé de mettre ça en place ce soir... Une fois nos identités contrôlées, nous entrons et passons par le vestiaires pour déposer nos affaires. Je ne garde finalement sur moi que mon téléphone et le cadeau pour Calixte. Au moins, je ne vais pas tarder à m'en débarrasser parce que ce truc pèse un âne mort !

Ce n'est qu'une fois dans la grande salle que j'étouffe une exclamation de surprise. C'est... grandiose ! La décoration a été pensée avec soin, la musique est entraînante et le DJ à fond dans le rythme, les gens se pressent au niveau du bar derrière lequel s'affairent plusieurs barmans et il y a cette ambiance agréable qui règne dans la pièce. Ça va vraiment être une bonne soirée. Du moins si mes hauts le cœur se calment parce que ça commence à être handicapant, d'autant que je compte bien en profiter, des consos gratuites, non mais ! En faisant un tour de la salle du regard, j'aperçois la mezzanine et Calixte, appuyé contre la rambarde. Je me tourne donc vers Rosamund et lui hurle littérallement quelques mots pour me faire entendre par-dessus le boucan de la musique.

Je vais déposer mon cadeau ! Je reviens !

Je m'éclipse, joue des coudes pour me faufiler à travers la foule et finis par gagner l'escalier menant à la mezzanine en ponctuant chaque marche grimpée d'un « pardon » ou d'un « excuse-moi » que j'agrémenterais bien d'un « bougez-vous le cul ». Une fois arrivée en haut, je repère une pile de cadeaux sur laquelle je compte bien déposer le mien, mais à peine ai-je eu le temps de m'approcher que je me retrouve nez à nez avec deux visages bien connus.

Byron ! Kirk ! Ça alors, je ne m'attendais pas à vous voir ! Dis donc, Byby... j'espère que c'est du jus de fruit, dans ton verre ?

Je lui fais un clin d'œil qui décrédibilise complètement mon froncement de sourcils qui se voudrait en temps normal sévère et lève alors les yeux vers celui qui vient de nous rejoindre.

Ah ! Voilà l'homme de la soirée ! Joyeux anniversaire, Cal...

C'est... c'est vraiment bizarre, comme situation. Nous avons pris l'habitude de nous voir régulièrement, ces derniers temps et devoir garder ainsi mes distances comme si nous étions de simples connaissances est plus gênant qu'autre chose. Pour détendre un peu l'atmosphère, je lui tends le paquet bien emballé que je tiens.

Tiens, j'espère que tu ne l'as pas déjà !

Dans le cas contraire, ça serait quand même sacrément con...

Lorsque Calixte regarda, du haut de la mezzanine, la pièce qui se remplissait, les convives qui affluaient et surtout la quantité - grand Dieu la quantité ! - de personnes qu’il ne connaissait ni d’Eve, ni d’Adam, mais qui étaient venues malgré tout et qui désormais avaient le sourire aux lèvres, un verre à la main et une tenue des plus respectables… lorsque Calixte vit tout ça, il sut qu’il avait exactement ce qu’il avait cherché à obtenir : une fête d’anniversaire digne de ce nom. Oh, ce n’était pas qu’un pari fait avec Cyrus que d’inviter la moitié de la jeunesse de Killingworth -pouvait-on d’ailleurs parler de jeunesse quand on voyait les Howard qui zonaient par là-bas ?-, ce n’était pas qu’un pari lancé par Cyrus dans un éclat de rire : tu ne peux pas faire mieux qu’Etienne de Clermont-Tonnerre, une de leurs connaissances françaises qui avait passé le cap de la trentaine deux mois plus tôt. Ce n’était pas uniquement tout cela, que Calixte était en train de regarder. C’était bien plus, c’était quelque chose qui gonflait son ego, et aussi une petite revanche personnelle qui prenait forme. Alice était en grande conversation avec Diana, Anthony avait été alpagué par Cyrus sitôt qu’il avait franchi la porte. Appuyé avec désinvolture sur la rambarde de la mezzanine, Calixte se demanda brièvement ce qu’Edward avait prévu pour la soirée, dans un sourire particulièrement mesquin. Avant de rejoindre la salle attenante à la mezzanine qu’il s’était réservé pour respirer un peu. Se recoiffant devant un miroir, il inspira, profondément. Vraiment, la soirée promettait d’être parfaite. Helena avait fini par accepter de venir, tous avaient répondu présents, même Pandora allait être là, sans parler de Kaisa. Et de tous ceux qu’il allait se faire, bien évidemment, un devoir de saluer.

Inspirant profondément, plissant les yeux pour réajuster quelques mèches qui avaient tendance à se transformer en épi, lissant une nouvelle fois sa veste de costume, sa cravate nouée et choisie par Helena, caressant dans sa poche le cadeau qu’elle lui avait fait d’ailleurs quelques heures plus tôt et qu’il refusait de quitter, comme une sécurité bienvenue, Calixte se décida à retourner sur la mezzanine : il y avait des éclats de voix, il y avait du bruit, il y avait Byron ! BB8 ! High five pour commencer, puis une poignée de main franche et virile, le voilà qui se tourne vers l’autre garçon, qu’il ne connaît juste… pas ?, mais dont le détourna sans attendre Byron. « Trente ans, la vache! T'as mis les petits plats dans les grands ! » Un éclat de rire lui échappa, sans attendre. Que veux-tu, j’ai une réputation à respec… Pandora ! Tu es là ! Merci. Il n’hésita qu’une fraction de seconde à lui faire la bise, effleura ses joues dans un sourire, saisit le cadeau qu’elle lui tendait et de répondit dans un nouvel éclat de rire Non, je ne pense pas avoir déjà ce papier cadeau… merci, c’est adorable, je… Non mais il est sérieux ? Despacito ? Il le déposa, surtout, oubliant qu’il aurait été peut-être plus poli de l’ouvrir tout de suite, parce que Byron venait de faire les présentations. Meilleur ami de Byron ? Et bien tu es mon nouvel ami, Kirk. Et hum… oui, on se connaît, il jeta un regard amusé à Pandora, parce qu’il était tout simplement incapable, pour le même, d’être réellement gêné. On s’est croisé à l’occasion d’une exposition et on a bien sympathisé. Et… du bout des doigts, il les désigna les uns les autres : Vous vous connaissez du coup ? Byron, il FAUT qu’on se prenne en selfie, je crois que le peuple le réclame. Son téléphone apparut sa main en un mouvement de poignet. Du coup... Panda, Kirk ? Qu'est ce que vous en dites, photo de groupe avec les stars avant que j'aille prendre mon bain de foule ?

La remarque de Byron me fait sourire. Qui sait s'il n'a pas du punch assaisonné à la sauce Anakin ? Personne. Et je suis bien la dernière personne ici qui ait un semblant de légitimité à lui faire la morale, quand on sait que j'ai une forte tendance à l'abus immodéré d'alcool. Sourire aux lèvres, je me tourne vers Kirk et lui épargne la bise bien française qui viendrait sûrement mettre cet ours mal léché sur ses gardes. C'est amusant de voir à quel point Byron et Kirk peuvent être différents, entre une pile électrique à l'aise en société et un type taciturne qui a l'air de préférer le calme d'une galerie d'art. Je manque d'ailleurs d'éclater de rire lorsque Byron entreprend de remettre la cravate de Kirk en place, notant à la fois l'ingénuité de l'un et le regard empli de détresse de l'autre. Doux Jésus, comme le dit si bien Princesse Calixte, à quel moment Byron va-t-il se rendre compte de l'énorme panneau « I LOVE YOU » que brandit Kirk sous ses yeux ? M'est avis que ça n'arrivera pas avant un bon moment et je ne peux que lancer un regard à la fois amusé et désolé en direction de Kirk.

ça va bien, merci et vous ? Vous avez ramené quoi de beau ?, dis-je en désignant d'un mouvement du menton le petit paquet que porte Kirk.

Le pauvre... Je ne peux qu'imaginer la difficulté qu'il doit éprouver à dire les choses à son ami et lorsque Calixte s'approche de nous, je me fais la remarque que la conversation très gênante que nous avons eu au sujet des sentiments, des aventures sans lendemain et autre a été plus que bénéfique pour nous. Au moins, nous savons où nous allons ! Ça n'empêche pas la situation d'être vraiment étrange lorsqu'il me fait la bise comme si nous étions de simples vagues connaissances. Et quelque part, le fait qu'il n'ouvre pas tout de suite mon cadeau me rassure, parce que s'il m'avait fait « oh dommage, je l'ai déjà ! », je crois que ça aurait explosé le score de gêne qui règne ici. Gêne qui me fait pourtant éclater de rire quand Byron demande si nous nous connaissons. Un regard complice échangé et voilà Calixte qui expose les choses en omettant 98% des détails. Si notre évidente complicité se voit comme le nez au milieu de la figure ? Non, bien sûr que non, quelle idée ?

Tu sais comment est le monde des artistes, Byby, on se croise facilement ! D'ailleurs, c'est aussi comme ça que je connais Byron. J'accompagne ses cours de danse au piano, et il nous a présentés, Kirk et moi. Tu vois, le monde est tout petit !

Et si Byron et moi savions que nous sommes liés par le sang, la coïncidence deviendrait alors franchement risible. En revanche, ce que j'ignorais, c'est que Byron et Calixte se connaissent.

Et vous deux ? Vous vous connaissez d'où ?

C'est tout de même drôle de voir que sur les centaines de personnes présentes ce soir, nous sommes quatre à nous connaître et à nous croiser par hasard. Le monde est vraiment minuscule ! Je jette alors un regard à la salle sous nos pieds, où la majorité des convives semblent s'éclater sur une musique au goût... discutable. Un peu naïve, je cherche Rosamund du regard dans toute cette foule et finis par me dire qu'un coup de fil sera bien plus efficace pour la retrouver. Seulement, je n'ai pas le temps de m'éclipser que déjà, Calixte nous rassemble pour un selfie et... Panda ? Je hausse un sourcil en entendant le surnom qu'il vient de me donner. Petit 1, ça a l'air totalement spontané, petit 2, c'est mignon, petit 3... d'où je rougis ? Mon regard croise celui de Byron, je baisse les yeux en vitesse et m'arme de mon plus beau sourire pour rejoindre la photo. Souris, aie l'air d'une conne et on te pardonnera les joues rouge tomate, Pandora !

Ooh aller Kirk ! Viens nous rejoindre, sois pas timide ! C'est une photo VIP !

Sur le coup, la remarque de Calixte sur son bain de foule ne m'a pas fait tiquer, mais ce qui est certain, c'est que le Seymour adepte des mondanités et des mouvements de foule est à des lieues du Calixte musicien et mélomane. Le premier est bien plus arrogant que le second.

Je jette un coup d'œil à Byron, lui fais un signe de la tête et attrape Kirk par un poignet en espérant que Byron aura compris qu'il doit attraper l'autre pour rapprocher son ami de nous et ainsi faire une chouette photo de groupe.

Calixte était de bonne humeur, plus dynamique, plus enthousiaste, plus énergique que jamais. Il fallait que tout soit parfait, oui, mais la tenue qu’Helena lui avait choisie, et les préparatifs qu’il avait remis entre les mains de personnes sûres, et sa chance habituelle, le tout couplé à l’absence d’Edward dans les environs, la soirée ne pourrait qu’être parfaite. Sans compter Pandora qui venait d’arriver, sans compter la présence de Byron dont il était particulièrement fan sur les réseaux sociaux – en même temps, qui ne l’était pas, hein ? – et même celle de ce Kirk qu’il ne connaissait ni d’Eve, ni d’Adam, et qui n’allait pas faire l’effort de connaître davantage, pris dans le tourbillon de ce bain de foule à venir, de ces invités qui venaient le saluer, de l’alcool qu’il allait boire, de la piste de danse qu’il allait occuper, monopoliser, sur laquelle il comptait bien traîner non seulement Kaisa Howard – d’ailleurs où était-elle celle-là ? – mais bien également Pandora, Helena, et même, tiens, même cette Rosamund qui avait été ajoutée de justesse sur la liste des invités pour la seule raison qu’elle pouvait potentiellement être dans l’entourage d’Edward. Calixte était mondain, Calixte était heureux, Calixte était dans son élément et son débit de parole, son charisme et son assurance, tout cela l’imposait dans la pièce, sans qu’il ne prenne le temps de s’intéresser vraiment à ceux qui l’entouraient. Ainsi, Kirk connaissait Byron, Byron connaissait Pandora, Pandora connaissait Kirk, la boucle était bouclée, Calixte commenta le tout d’un Parfait ! éloquent qui se transforma en froncement de sourcil, et une hésitation, sous la remarque de Byron : « C'est une virtuose! Ça m'étonne pas qu'elle te plaise Calixte! », une simple hésitation et un flottement. « J'veux dire, musicalement parlant. Y'a possibilité de vous entendre jouer ensemble un jour? » Une nouvelle hésitation, un nouveau flottement, Calixte perdit un instant son sourire, le temps d’articuler un Non définitif et implacable, qu’il tenta d’alléger dans un éclat de rire. Non, Calixte ne jouait plus pour d’autres personnes que de rares élus depuis plus de dix ans, et non, il ne risquait pas de revenir sur sa promesse. Loin de vouloir s’attarder sur le sujet, il préféra proposer un selfie, et se jeta sur la première distraction possible : ce Kirk qui ne semblât pas très partant. Comment ça, très peu pour moi ? Il n’aimait pas le non, Calixte, il aimait encore moins qu’on se permette de lui refuser quelque chose d’aussi simple, dans un événement où, par définition, il était le roi de la fête. Et visiblement, Pandora était de cet avis aussi. Pris dans le mouvement, Byron trancha en imposant un selfie à tout le monde dans un sourire, alors qu’on commençait à entendre une rumeur qui n’allait pas manquer de détourner l’attention de Calixte de tout ça.

Comment ça, pénurie d’alcool ? Comment ça, alors que la soirée en était juste à ses balbutiements ? Comment ça ? Il ignora la fuite de Byron et de Kirk, n’entraperçut qu’à peine Pandora qui s’échappait elle aussi, le temps de se pencher sur la rambarde et de surplomber son royaume, à la recherche du bar et d’un éventuel barman dépassé. Et incapable. Franchement, Anakin, vraiment ? Lui faire ça, à lui, Calixte, l’un de ses plus fidèles clients ? Même si Calixte évitait désormais d’aller au Cocktail Colours – un peu trop de tatouages litigieux à son goût – il n’y avait quand même pas de raison pour qu’Anakin le trahisse de la sorte et… La musique se coupa, ajoutant de l’huile sur l’agacement croissant de Calixte, qui sortit son téléphone, envoya les SMS à qui de droit pour ne pas hurler haut et fort tout le bien qu’il pouvait penser d’un DJ incapable et d’un approvisionnement en boisson tout aussi lamentable. Lorsqu’il releva les yeux de son téléphone, légèrement moins énergique qu’au début de la soirée, il s’aperçut que Rosamund était arrivée sur la mezzanine, et que les trois autres étaient partis. Ah, bah, bien. Pratique. Rosamund, c’est ça ? Tu es venue avec Pandora, c’est bien ça ? Oui, il était loin de connaître tous ses invités, mais oui, Calixte avait malgré tout pris le temps de s’intéresser de près à certaines personnes. Et Pandora en faisait partie, étonnamment. Tu viens juste de la manquer, elle vient de descendre, pour te chercher je crois. Tu veux que je l’appelle ? A moins que tu ne sois venue voir le roi de la soirée ? L’humilité n’avait jamais étouffé le moindre Seymour, et ce n’était pas avec Calixte que les choses risquaient de changer un jour, c’était une certitude.

Un coup de fil passé et la musique reprit : Calixte soupira, bien moins détendu qu’un peu plus tôt, face à ces imprévus qui, non contents de se multiplier, semblaient même prendre un malin plaisir à aller en s’amplifiant au fur et à mesure que la soirée avançait. Il aurait aimé aller sur la piste de danse, le Seymour. Il aurait même plus qu’apprécié mettre la tenue choisie par Helena à l’épreuve en allant jusqu’à inviter Kaisa Howard à danser, aller se chercher un verre au bar, saluer comme il se devait l’ensemble de ses invités, et même, soyons fou, aller jusqu’à remercier les vieux croûtons Howard d’être venus faire les piliers de bar. Touché par leur réponse positive à son invitation. Calixte, donc, avait en tête tant de choses plus agréables à faire que de gérer ces couacs dont il se serait bien passé. Et quand il rangea son téléphone dans la poche de son pantalon, ce fut avec la ferme intention de rattraper le temps perdu et de suivre ceux qui avaient déserté la mezzanine pour dégringoler les marches et… dans un large sourire, il salua plutôt celle qui venait de monter, certainement à sa rencontre. D’un coup d’œil, fort de l’expérience et de son éducation, Calixte se sentit capable de mettre un nom sur le visage, et même de le relier à celle qui était vraisemblablement avec, l’inégalable Pandora. Qui l’avait lâchement fui, avant même qu’il ait pu ouvrir le cadeau. Avant, même, qu’il n’ait pu lui faire une remarque sur sa tenue – exquise – et sur… Oh, je... Oui, c'est moi. Je cherchais Pandora, effectivement. Rosamund le coupa dans ses pensées, Calixte s’arrêta dans son mouvement face au geste de la main, rangea à nouveau son portable. Dommage, c’était un prétexte supplémentaire qui s’envolait. Et une solution de plus pour maintenir l’équilibre précaire qu’il avait enfin réussi à trouver depuis plus d’un mois et demi maintenant avec celle qui tenait lieu et place de plan-cul doublée d’une amie aux perfections redoutables, peu de choses en somme, mais bien des choses également. Non ce n'est pas la peine, merci. J'ai son numéro. Dans un petit sourire, Calixte retrouva son équilibre, retomba sur ses pattes et fit naître des pattes d’oie dans un sourire sincère, qui allait jusqu’à plisser ses yeux, un sourire qui manqua de défaillir en voyant le temps d’un soupir l’écran du portable de Rosamund s’allumer, et un nom reconnaissable entre mille s’afficher.

Son sourire vacilla, se raffermit devant l’écran éteint et la certitude que Rosamund pouvait donc s’ajouter à la liste – conséquent – des personnes qui étaient là, tandis qu’Edward tournait comme un poisson dans son bocal à s’ennuyer – et cela, c’était le petit plaisir personnel de Calixte – comme un rat mort. Pendant un instant, il envisagea de lui demander comment allait son frère, mine de rien, mais avant qu’il n’ait pu trouver la phrase adéquate, elle le devança dans une voix hésitante, et un paquet tendu, dont il se saisit sans plus attendre. Oh, je, euh... J'y pense, j'avais apporté ça. Ce n'est pas grand chose mais... Enfin. Il eut au moins le mérite de paraître surpris, tandis que le traditionnel et hypocrite oh, il ne fallait pas resta au placard, avec son humilité. Merci, c’est vraiment gentil lui préféra-t-il, bien plus honnête, sincère et franc. Gentil, ça l’était, si gentil même qu’il profita du calme temporaire pour s’appuyer à la rambarde, dos à la foule, et ouvrir soigneusement le papier cadeau, suivant le scotch, évitant à tout prix de le déchirer. Tic ridicule bien évidemment, mais qu’il avait toujours pris plaisir à amplifier plutôt que de chercher à l’amoindrir. Le papier trouva son refuge sur une table, toujours aussi soigneusement plié, Calixte s’attaqua au carton.

Il s’attendait à beaucoup de choses. Vraiment. Des cadeaux de la part de personnes qui ne le connaissaient ni d’Eve, ni d’Adam, il en avait eu un certain nombre, que ce fusse de la part de certaines marques cherchant à attirer son attention, ou se faire de la pub gratuite, ou de la part d’obscurs oncles, tantes, cousins et autres cousins, connaissances veilleurs ou membres de l’aristocratie anglaise… en désormais trente ans d’existence, Calixte avait eu, et fait, bon nombre de cadeaux, des plus impersonnels aux plus intéressés en passant par tous ceux qui n’avaient strictement aucun intérêt, de la simple boite de chocolat à la cravate bleu marine unie, dont la seule spécificité semblait être le prix, la matière et le couturier, il avait à peu de choses près la sensation de ne plus pouvoir être surpris par les présents d’inconnus. Et il se trompait : devait le chapeau – aussi loufoque qu’inattendu – qui se déploya sous ses mains, Calixte, ce beau parleur, ce bavard invétéré, ce produit de l’éloquence de la noblesse et des tabloïds, Calixte resta muet de stupeur. Oscillant entre le fourire le plus spontané et l’hébétude engourdie. Oscillant entre le simple sourire – retenu, contenu, respectable – et le rire et les larmes. Ce furent ces derniers qui gagnèrent devant la déconfiture évidente de l’avocate. QUOI ?! Mais qu'est-ce que...!! Mais ce n'est pas DU TOUT ce que j'avais commandé ! Oh non, je... Je suis vraiment sincèrement désolée, je ne sais pas du tout ce qui s'est passé à l'expédition... Ce doit être une erreur... Hilare, Calixte n’entendit ni la musique s’interrompre, ni reprendre sur un titre qu’elle avait déjà entonné un peu plus tôt. Hilare, il ne parvint à reprendre contenance qu’au prix d’une volonté qu’il doutât, un instant, posséder, ne sachant plus, au bout d’un moment, s’il riait de sa surprise, ou de la panique évidente de son invitée, ne sachant plus s’il était en train de la désemparer davantage, ou au contraire de la rassurer sur sa réaction ;

Le souffle court, il réussit pourtant à transformer les rires en simple respiration, et les larmes en regard pétillant. Ne t’inquiète pas, c’est parfait. Original, inattendu… Le chapeau trouva sa place sur sa tête : il compléta Elégant et raffiné, tout ce que l’on attend d’un jeune aristocrate anglais, on sent que tu as travaillé ton sujet pour te fondre dans la masse. Il lui fit un clin d’œil, complice, charmeur, calixte tout simplement, avant de l’embrasser sur la joue. Fort peu anglais, certes, mais on pouvait excuser Calixte et brandir en justification qu’il avait non seulement passé un an de ses études à Paris, capitale française, où on lui avait fort bien enseigné non seulement le concept de la bise, mais également celui du french kiss - et Calixte, dans ce domaine, c’était révélé comme étant un élève des plus studieux – mais également, et cette justification là pouvait primer, malgré son caractère légèrement controversé, que puisque Rosamund semblait si bien connaître Edward, un peu de familiarité pourrait non seulement agacer son frère – si cela était possible – et également… n’embêter personne ? Très honnêtement, ce cadeau est parfait. J’avoue ne plus savoir que faire, en règle générale, des cravates, boutons de manchette et autres stylo plumes. Au moins, tu as eu l’œil sûr pour du tape-à-l’œil qui me correspond à merveille.

Replaçant son chapeau qui menaçait de dégringoler, Calixte reprit de la distance dans un grand sourire. Et aperçut ce faisant qu’une tierce personne se joignait à eux, et à qui il ne comptait pas non plus épargner quelques remarques amusées, sans se soucier outre mesure de la réception qu’elles pourront avoir. Parce que Calixte, le plus souvent, savait se montrer aussi moqueur, mesquin, hautain et pédant que charmant, dans une même phrase et sans même le vouloir réellement. Ne l’étant que naturellement, fruit de son caractère et de son éducation. Maria ! Je te présente Rosamund, une amie de mon frère, qui n’a malheureusement pas pu venir ce soir. Rosamund, je te présente Maria, barmaid, sœur de barman, barmaid jusqu’au bout des ongles au point tel qu’elle fait… corps avec ce qu’elle nous serre ? Il lança un regard appuyé, amusé, sur la tenue trempée de Maria. Maria… si tu veux, on devrait pouvoir te trouver de quoi te changer. Ou un bavoir. Qu’elle ne le prenne pas mal, mais Calixte devait absolument décompresser des premiers couacs de la soirée. Comment vas-tu, ça fait plaisir de te voir !

« Fais attention Seymour, puisque comme tu l’as si bien dit, je suis barmaid, dans un bar qui pourrait bien faire en sorte qu’une certaine personne qui aime bien passer ses pathétiques soirées accoudé au comptoir aille le faire ailleurs si la gérante se sent insultée. » Calixte leva les yeux au ciel, refusant non seulement de se laisser vexer – et c’était juste – par le terme pathétique, mais refusant également d’entrer dans ce petit jeu. Allait-il s’excuser ? Non. Peut-être. Il n’y songeait même pas. Parce qu’à ses yeux, il était complètement pardonnable. Certes, il s’en rendait parfois après coup, ses propos pouvaient éventuellement être interprétés – et à juste titre – comme l’étalage le plus complet de son arrogance et de sa verve habituelle, mais il avait trente ans ce soir, il s’était tout naturellement désigné comme le roi de la soirée et, inconsciemment, il lui semblait plus que normal qu’on ait pour lui toute l’indulgence du monde. Aujourd’hui tout particulièrement, mais également les quelques trois-cent-soixante-quatre jours qu’il restait dans l’année, rien de bien exigeant en toute franchise. Aux yeux de Calixte, donc, s’il pouvait parfois se perdre du côté de la faute diplomatique et du manque de tact, il n’en était en rien coupable. Et même, dans ce genre de situation, il ne s’en apercevait même pas. Il continuait à sourire, de son sourire mutin, aux yeux plissés de satisfaction, il continuait sur sa lancée, indifférent à la façon dont ses propos pouvaient être reçus. Il continuait, il poursuivait. Comme maintenant, encouragé par les éclats de rire de Rosamund, encouragé par ce besoin de profiter pleinement de la soirée, comme maintenant alors que l’avocate se défilait dans un message de Pandora – qu’il se retint de justesse de lire – et comme maintenant, alors que bien satisfait de l’introduction qu’il avait pu faire de Maria, il lui lançait un nouveau regard des plus moqueurs, l’observant alors qu’elle-même suivait du regard la blonde.

« Je vais bien du coup, et toi ? Et je suis contente aussi de te retrouver, merci pour l’invitation d’ailleurs ! Tu passes une bonne soirée ? » Les yeux de Calixte pétillèrent, il s’adossa à la rambarde, prompt à délaisser légèrement son attitude guindée lorsqu’il était en présent d’amis. Et d’amies. Si on oublie ce DJ qui ne finira certainement pas la soirée, ça va bien. Et c’était sincère : ça allait bien. Véritablement. Comment aurait-il pu en être autrement alors qu’il était clairement au centre de l’attention ? « Joyeux anniversaire ! Ça ira bien avec ton… chapeau. » … Calixte avait commencé à ouvrir le cadeau : il s’arrêta aussitôt. Pardon ? Avec bien moins d’enthousiasme, et davantage de suspicion, il acheva d’ôter les différents morceaux de scotch en veillant à ne surtout pas abimer le papier et… éclata de rire, enfilant sans plus attendre le masque, le tenant quelques secondes avant de le remonter sur le haut de sa tête, bataillant quelques secondes pour le faire cohabiter sans dommage avec le chapeau. Et pour en pas faire de jalouse, embrassa à son tour Maria sur la joue, dans un sourire taquin. Il est parfait, même si j’ai comme l’impression d’entendre là comme un message… Miss Estevez, j’espère que vous ne venez pas de me traiter de vieux, tout de même… Et sa voix s’infléchit d’une menace grandement démentie par ses yeux, et… Calixte tendit l’oreille. La musique changea, pour un titre qu’il aimait tout particulièrement. Son regard, complice et taquin, devint invitation, tout comme la main qu’il présenta à Maria : Tu vas devoir te faire pardonner et rien de mieux pour cela qu’une danse, à mes yeux : on descend ?

Qu’importe la réponse, il ne lui laissa pas le choix, l’entraîna dans l’escalier, saluant les invités aux passages, s’arrêtant pour en remercier certains, en féliciter d’autres, sourire, encore, rire – toujours. Grand Dieu que l’escalier était peuplé ! Et grand Dieu également que… Calixte allait poser un pied sur le sol de la piste de danse quand on le heurta dans le dos, suffisamment pour qu’il en perde l’équilibre, trébuche, sans pouvoir se retenir à quoique ce soit. En un rien de temps, Calixte se retrouva au sol, se releva prestement, légèrement désorienté malgré tout et surtout rouge, véritablement rouge et honte et de colère. Il riait, un peu plus tôt, toute trace d’amusement déserta son visage. Il chercha dans la foule l’imbécile qui avait osé le ridiculiser de la sorte, et surtout devant Maria. Et… bonté divine, était-ce réellement Kaisa qu’il apercevait là-bas ? Calixte s’épousseta avec tout le détachement du monde. Siffla à l’intention de Maria : Si tu as la moindre idée de l’identité de l’idiot ou de l’idiote, je suis preneur. Mais en attendant, je te dois une danse. Et le rock qui tonnait à côté d’eux avait un rythme bien trop tentateur pour que Calixte puisse l’ignorer, malgré toute sa mauvaise humeur.