Histoire de votre personnage

Caleb n’a pas l’histoire la plus intéressante qui soit. Ce n’est pas une mauvaise chose, que l’on se le dise, ça veut sans doute dire, pour lui en tout cas, qu’il n’y a pas tellement de drames qui ont jonché son existence. C’est peut-être une force que l’on ne verra pas chez tout le monde. Mais malgré tout, il a quelques expériences à raconter qui pourtant, ne sortent jamais vraiment de son cercle d’intimité. Il n’est pas très loquace lorsqu’il s’agit de lui-même. Laissez-moi donc faire le récit à sa place, je pense qu’il en gagnera en efficacité.

Mon nom est Victoria Jane Griffith. Je suis née la première, d’une mère qui pensait ne pas pouvoir avoir d’enfants, à cause de son ex-mari qui semblait, en réalité, être celui qui semblait ne pas pouvoir lui donner ce qu’elle voulait. Mon prénom parle de lui-même, le soulagement, le miracle, la joie. Et quel miracle ! Si tôt son mariage annulé aux yeux du monde, son regard fut happé par un homme qui s’avérera être mon père, et celui, plus tard, de mes deux frères. Elle est tombée enceinte au début de leur relation, et si l’homme n’avait jamais pensé vouloir d’enfants, il a accepté la nouvelle comme on l’attendait. Attentionné et aimant, il est resté. Un an et demi plus tard, une deuxième grossesse. A la grande surprise de chacun, ils furent deux à voir le jour. Des jumeaux. Pas de vrais jumeaux, mais un lien indéfectible, sans l’ombre d’un doute. J’étais trop jeune pour vraiment me souvenir de ce que cette naissance signifiait, mais je sais que depuis ce jour, j’ai toujours eu à coeur de protéger ces deux êtres. Ce ne fut pas le cas de mon père. C’est sans doute dans le même temps qu’il a compris que ce n’était pas la vie qu’il voulait, qu’il n’avait jamais voulu. Je ne peux pas expliquer ni même comprendre ce qui a pu lui traverser l’esprit à ce moment-là, mais la pensée d’enfermement et de passer à côté de ce qu’il désirait au plus profond, peu importe ce que ça pouvait être, a mûri des années durant. J’avais huit ans, lorsqu’il est parti. Nous étions tous assez grands pour nous en souvenir. Pas pour en voir toute la portée, mais pour encore se souvenir de la marque qu’il a laissé, le bruit des bagages et des cartons devant la porte d’entrée, une mère suppliante en larmes, qui tentait de passer outre les bras de ses propres parents pour le retenir. Sans aucun succès. Une excuse, dirigée vers moi, mais pas vers mes frères. Il ne les a jamais aimé comme il m’aimait et encore, je n’ai pas été suffisante pour le retenir alors à quoi bon le mentionner?

Depuis ce jour, l’éducation s’est faite avec une mère travaillant d’arrache-pied pour nous faire vivre, et de grands-parents qui tentaient de compenser la perte de la figure paternelle. Les pauvres ne savaient plus où donner de la tête alors que les jumeaux, particulièrement Caleb, devenaient de plus en plus difficiles, mettant à l’épreuve patience et amour. Plus le temps passait, plus ils accumulaient les bêtises, d’abord sans importance pour arriver à un stade où ils n’arrivaient plus à en gérer les conséquences. Si mes notes à l’école avaient toujours été bonnes, celles de James commencèrent à chuter. Caleb, quant à lui, devenait problématique quant à son comportement, incapable de se concentrer il faisait en général tout pour être puni. A l’heure actuelle, notre mère en rit volontiers, arguant le fait qu’il a sans doute commencé sa crise d’adolescence beaucoup trop prématurément. Mais à l’époque, c’était un vrai facteur d’épuisement pour elle, et elle mériterait sans doute une jolie médaille pour son endurance.

Mais mis à part ce léger détail, nous avons tous les trois grandi dans une atmosphère heureuse et sans vraiment connaître le malheur d’une vie brisée. Caleb a fini par redevenir le petit frère que j’aimais tant et arrivé au lycée, il était ce garçon un peu arrogant mais populaire, assidu et travailleur qui agace par sa faculté à prendre tout ce qu’on pouvait lui dire en dérision. C’est une période où nous avons tous été très proches. Une faible différence d’âge aidant, on faisait les quatre cents coups ensemble et nous avons eu le privilège de tout connaître en même temps et de se soutenir quoiqu’il puisse arriver. Les premières relations - catastrophiques pour Caleb qui n’a jamais vraiment su garder une fille plus d’un mois sans tourner la tête sur une autre - les premières fois, les premières ruptures et surtout les premières perspectives d’avenir. Passionné très jeune par tout ce qui pouvait avoir un lien avec la justice. Il a obtenu une licence en droit accompagné de James qui se dirigeait, lui, plus spécialement vers le métier d’avocat - et qui, au bout du compte, a passé l’examen avec brio, contrairement à ce que pensaient absolument tout le monde - et au bout de quelques années, son titre d’agent de recherches privées.

Une existence plutôt linéaire pour Caleb, qui n’a eu que des bas desquels il pouvait aisément se relever. Comme tout être humain il a connu la misère, ces moments où il venait me demander timidement de lui prêter de quoi payer son loyer parce que sa clientèle n’était pas encore faite et qu’il avait eu, après des années de travail en entreprise, décidé d’ouvrir son agence, il a connu également la solitude, incapable de faire autre chose que de travailler ou sortir avec James, mais James c’était différent, James c’était comme une partie de lui-même, il n’empêchait pas la sensation de ne jamais être entouré. Il a connu des hauts, aussi, ses premières affaires classées, son champagne qui ne restait jamais dans le frigo trop longtemps dans l’attente d’une bonne nouvelle, sa première relation faite pour durer - qui ne durera qu’un an, mais c’était un grand pas pour mon frère.

Et au milieu de tout ça, il y eut 2012. Pas la fin du monde, mais presque, celle du monde que l’on connaissait. L’existence des mutants révélée au grand jour. Un choc, pour notre famille enfermée dans notre bulle, qui ne connaissions rien de cet univers. Nos avis ont divergé. J’étais fascinée, James plutôt neutre, mais il avait toujours eu ce côté passif, plutôt agaçant quand on avait tendance à vivre tout à 300% à côté de lui. Et Caleb … Caleb n’a jamais été très friand des histoires de super-héros, de surnaturel ou même de science-fiction. Caleb est plongé dans le réel, et je crois que ça lui a foutu un sacré coup. A partir de là, on ne s’engueulait plus aux repas de Noël à cause de politique mais bien de nos positions sur le sujet. Je ne vous l’ai pas dit, mais j’ai été mariée à un mutant. Autant dire que le jour du mariage n’a pas été spécialement bien vécu pour certaines personnes, et que les deux côtés de la salle se regardaient sans savoir vraiment comment s’aborder. De mon point de vue, c’était divertissant. Mais ça a fini par passer.

Puis enfin, je suis morte. Oui je sais, ça fait un choc. Enfin … ça m’a fait un plus gros choc à moi qu’à vous, je vous le dis, mais voilà. Je ne vais pas tout vous spoiler, puisque mon cher frère tarde encore à découvrir la vérité, mais je peux vous dire une chose, ma mort implique un mutant - ou une mutante, surprise. Je peux vous le dire puisque Caleb le sait. C’est d’ailleurs ça, à ma grande tristesse, qui attise sa haine, jour après jour encore un peu plus. Mais je peux le comprendre. C’est lui qui a trouvé mon corps inerte dans une mare de sang dans mon living-room, avec cette impression qu’une tornade était passée par là. Mon mari a été rapidement innocenté. Déjà parce que sa mutation était pour le moins inoffensive, mais surtout parce qu’il n’était pas là le jour du drame. C’est la première fois que Caleb voyait la mort de près, et je pense que ça l’a marqué. J’aimerais réellement qu’il arrive à faire son deuil et à passer à autre chose. Mais depuis un an, il n’a qu’une obsession, trouver qui m’a enlevé la vie. Une obsession qui l’emmène dans des coins sombres de son esprit, des affaires de plus en plus dangereuses, et plus il va en ce sens, plus il fréquente des cercles anti-mutants, ce qui a pour effet d’inquiéter même James, visez l’exploit.

Mais quelque part, je serais hypocrite de dire que je n’ai pas hâte de voir où ça va le mener. Pas vous?