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Dim 18 Fév - 19:24
H. Calixte Seymour
humain
H. Calixte Seymour
humain
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Métier : contrôleur de gestion des Laboratoires Asclepios ; altiste
 
   

We are wasting his time

   edward & calixte
 
 
 
Calixte était silencieux. Ces couloirs, il les avait parcourus de multiples façons. En hurlant, en pestant, en insultant, en charmante compagnie, en moins charmante compagnie, en titubant, en pleurant. En jouant de l’alto une fois. Mais rarement, très rarement il les avait parcourus en silence. Jamais, du moins, aussi silencieux qu’aujourd’hui, veillant même à ne pas faire claquer ses talons sur le parquet, ouvrant lentement les portes et les refermant avec tout autant de précaution pour éviter les grincements au maximum. La grande demeure - manoir même - des Seymour dans leur comté était marquée autant par l’âge que par les usages et si elle avait perdu de sa vitalité au départ des trois enfants, elle n’en restait pas moins muée d’une certaine vie, dans sa manière de respirer, dans l’agitation constante du personnel de maison, dans les bruissements des feuilles et les soupirs des volets, toute une atmosphère que Calixte ne parvenait pas, aujourd’hui, à se résoudre de rompre. En bas de l’escalier, il avait salué Maman sitôt la porte franchie, l’avait embrassé avec politesse et retenue sur les joues puis sur le front. Je ne peux rester que le week-end, Maman. Comment vous portez-vous ? lui avait-il alors dit, ce à quoi elle lui avait répondu de son sourire le plus fatigué et, malgré tout serein. La duchesse de Somerset était des plus discrète, certainement habituée à être éclipsée par les caractères marqués de son mari, de ses enfants et de son entourage, mais elle n’en restait pas moins une constante dans l’univers de Calixte dont il ne pouvait se passer pour tourner rond. Elle lui avait alors proposé de boire un thé, de poser ses affaires dans sa suite habituelle, mais devant le regard de Calixte, elle avait fini par céder. Il est dans sa chambre, ne le fatiguez pas trop. Et il était donc monté. Se tenait désormais immobile devant une porte très rarement passée, tétanisée par une timidité qui ne lui ressemblait en rien, autant être lucide.

Calixte n’était pas un homme timide, il n’était pas un homme discret, il n’était certainement pas un homme silencieux, bien au contraire. C’était le premier à rompre la glace lorsqu’elle se formait, c’était le premier que l’on remarquait et qui se plaisait à se faire remarquer, c’était le premier à prendre la parole et à la garder, jalousement, tant qu’un auditoire aux oreilles grandes ouvertes se tenait devant lui. Mais il était également un fils. Terrifié de contempler les ravages d’une maladie qui ne concédait, pour le moment, aucune défaite ; qui ne se parait d’aucune clémence. Et qui, exposée à la lumière de sa précédente altercation avec Edward survenue quelques jours plus tôt, couvrait son avenir d’un éclat des plus sombres. Calixte était terrifié. Terrorisé, comme un enfant. Et lorsqu’il parvint à frapper, que la voix de Papa se creusa un passage et qu’il ouvrit la porte, son angoisse enfla d’un coup, dense et poisseuse, comme l’obscurité répandue dans la pièce par les lourds rideaux opaques suspendus aux fenêtres. Prenant sur lui, il fit un pas dans l’atmosphère étouffante. “Papa, c’est moi, c’est Cal… c’est Henry. Je ne vous dérange pas ? Une toux, un mouvement, il le vit se redresser dans le lit et envisagea de faire volte-face. Seul un mouvement de Papa le retint. “Restez, Henry. Approchez, en revanche.” Approcher dans l’obscurité ? Calixte se sentait déjà trembler à cette pensée, et ce malgré le jour qui parvenait à poindre malgré tout, aux interstices de la fenêtre. Surprenant son hésitation, Papa soupira, tendit la main vers la lampe de chevet avant de repousser les draps pour s’extraire de son lit. “Grand Dieu, ne faites-pas l’enfant.” Et pourtant, c’était exactement ce qu’était en train de faire Calixte : l’enfant. Il n’était qu’un enfant, face à Papa affaibli, Papa qui se levait pour l’accueillir, lui désignait le bureau, le petit salon pour aller s’installer dans un fauteuil plus digne de recevoir son fils, même le cadet. D’un pas vif, passant outre - pour une fois - sa terreur de l’ombre, Calixte se précipita pour aller le soutenir et le guida, retrouvant avec plaisir non seulement la lumière mais également le buffet qui renfermait des alcools forts, interdits à Papa bien évidemment mais autorisé à un fils qui se voyait, à court terme, devenir orphelin. Papa installé confortablement, Calixte se servit de lui-même, main nerveuse, sous le regard réprobateur du duc.

“Qu’y-a-t-il ?” Le silence ondula sous la voix fatiguée du duc. Calixte baissa les yeux vers Papa, revint s’asseoir sur l’un de ces fauteuils qui entouraient la table basse. “Henry, vous ne m’aviez pas prévenu de votre visite.” Le cadet ne put qu’entendre le reproche, comme un coup porté au plexus pour expulser l’air de ses poumons. Pardonnez, Papa, ma visite est le fruit d’un coup de tête et… Papa soupira, las. “Tout n’est chez vous qu’un coup de tête. Ne grandirez-vous donc jamais ?” Calixte pinça les lèvres, se concentra sur son verre. “Tu viens sur un coup de tête me tirer du lit…” Le tutoiement fit frémir Calixte : incongruité inattendue. “Quelque chose ne va pas.” Le fils se mordit la lèvre. Papa était peut-être malade, il restait observateur. Et il connaissait bien son fils. Les doigts de Calixte tapotèrent le verre, le firent chanter du bout de ses ongles, avant qu’il ne parvint à se résoudre à parler. Edward et moi nous sommes disputés. A propos de... Sa bravade people lui semblait bien moins intelligente, désormais. Il craignait, très sincèrement, aggraver l’état de Papa, maintenant qu’il le voyait à ce point fatigué. ... peu importe. Edward…” Bien des attaques avaient été faites, bien des insultes avaient été prononcées, la mâchoire bleuie de Calixte se montrait particulièrement éloquente, mais aujourd’hui, une phrase de son aîné persistait dans son esprit, l’une de celles qui l’avaient poussé à faire le déplacement jusqu’ici. Papa… Je dois savoir… Redoutez-vous réellement de me voir devenir duc un jour ? N’était-ce pas les mots exacts qu’Edward lui avait assénés, parmi mille autres du même acabit ? La vérité, c’est que père redoute plus que tout de te voir un jour devenir Duc. Calixte leva les yeux de son verre, auquel il ne touchait pas, pour chercher le regard de Papa. Est-ce que je vous déçois, Papa, encore aujourd’hui ? Sa voix n’était qu’un souffle, un souffle fragile, plus fragile encore que celui - pourtant sifflant - de Papa. Anxieux. Il avala une gorgée d’alcool, un whisky d’un certain âge. Peina à déglutir.

“Oui.”

Calixte se sentir pâlir. Blêmir, même. Toute couleur quitta son visage, ses doigts se crispèrent sur le verre pour les retenir de le lâcher. Papa leva une main pour lui intimer le silence, l’obtint sans combat. “Et tu le sais, Henry, pourquoi cette question. Ton frère sait que j’en pense mais crois-moi, par bien des aspects, vous me décevez tous les deux. Toi davantage que lui, mais encore une fois, tu ne devrais pas en être surpris. On récolte ce que l’on sème, tu sèmes la honte et la désapprobation et tu le sais Oui, il le savait, Calixte. Mais c’était une chose d’en être conscient, c’en était une autre de se l’entendre dire. Surtout par Papa. J'osais croire que... C'était un mensonge : Calixte n'avait rien osé du tout. Il s'était contenté de croire.  Tout court.  Si nos places avaient été échangées, à Edward et moi, auriez-vous préféré le voir devenir duc en dépit du droit d’aînesse ? Il avait le souffle court en posant cette question, Calixte, plus que conscient qu’il était odieux de sa part de s'inquiéter sur ces sujets là quand son père avait bien d'autres choses en tête. Mais… Papa, il faut également que je vous dise que… John a demandé à me voir. Il a remis en doute notre légitimité, à Edward et moi, pour parler en votre nom. Non seulement au niveau du duché et de nos positions mais également au niveau des Veilleurs. Et... “Tais toi.” Calixte se tut. “Edward… Edward saura gérer ceci, mais ne fais rien par toi-même.” Le cadet contracta la mâchoire mais ne souffla mot devant le ton péremptoire de Papa. “J'ai entière confiance en ses capacités, ce sera un bon duc.” C’en était trop, Calixte se leva d'un bond après avoir fait claqué son verre encore à moitié rempli sur la table. Papa ! Et moi alors ?! Je… n'avez vous donc aucune confiance en mes propres capacités ? Si nos places avaient été échangées, aurez vous… “Assez ! Va chercher sur mon bureau...” La main de Papa désigna la porte fermée de l'autre côté du petit salon. Calixte s’exécuta à contre-coeur. Il était venu chercher conseil et assurance, il ne récoltait que déception et mépris. Sans la proximité des écuries et du cheval dont il était le propriétaire depuis 8 ans maintenant, sans la perspective d'un week-end de repos en compagnie de Maman, il aurait déjà plié bagages. Ouvrant la porte du bureau il s'empressa de presser l'interrupteur.  Le regretta presque. Un journal y trônait, celui là même à l'origine de son altercation avec Edward. Probablement relayé par Edward auprès de Papa.

“Tu t’exhibes. Constamment. C'est bien, tu restes visible, si tu dois succéder à Edward, personne ignorera qui tu es.” Si, haïssable si. Papa s'était levé. “Tu vends ton corps comme une fille de joie. C'est ce que tu es, après tout, à te vautrer dans une débauche méprisable. Et tu t'étonnes de me décevoir. Si tu deviens duc un jour, on te le reprochera.” Si. Si. Encore ce si. Je ne serai jamais duc, Papa, n'est ce pas ?

“La santé de ton frère est fragile, le poids qui pèse sur ses épaules est lourd. Je veux que tu te tiennes prêt à chaque instant.” Je suis votre garantie. “Tu es mon cadet, c’est tout ce que tu dois retenir. Et maintenant, si tu as eu tout ce dont tu avais besoin, laisse-moi m'habiller et descends rejoindre ta mère.”

Calixte ne se fit pas prier. A la détresse et l'angoisse initiales de mêlait désormais la colère. S'il était venu en silence, il claqua la porte, descendit dans un concert de bruit les escaliers, s’immobilisa à quelques marches de l'entrée en reconnaissant, sur un porte-manteaux, les affaires de son frère. Maman arriva sans plus tarder, lui confirmant ce qu'il avait déjà compris : les deux fils étaient venus voir leur père. Les choses allaient définitivement de mal en pis, et empirèrent davantage encore lorsque d’un regard, Maman le dissuada de partir. Inquiet, Calixte l’était et le restait, indubitablement. Ecoeuré, là encore, il avait le coeur au bord des lèvres à se remémorer non seulement les propos d’Edward mais également ceux d’un Papa qui ne lui avait, jusqu’à ce jour, parlé aussi franchement et surtout aussi violemment. Se pouvait-il que les propos de Papa ait été déformé par la fièvre et la maladie ? Non. Oui. Peut-être : l’un comme l’autre, ils étaient dits et en rejoignaient trop d’autres à la joyeuse troupe qui hantait Calixte.

Quand il atteignit les écuries où il avait choisi de se réfugier pour ravaler sa rancoeur et la bile acide qui lui brûlait la gorge, Calixte était encore incapable de savoir ce qu’il pensait de tout cela. Il était venu chercher l’aura rassurante d’un père lucide et clairvoyant, il n’avait vu qu’un homme en fin de vie, qui ne le réduisait qu’au rang de roue de secours, sans autre utilité, un duc de seconde main que l’on gardait dans sa manche dans l’espoir de ne pas avoir à s’en servir. Clameur d’Aboukir - que Calixte appelait plus fréquemment Aboukir qu’autre chose, voire Abou - l’attendait, sellé par Alexandrine - l’une de celles qui le montaient quand Calixte était absent, autrement dit de plus en plus fréquemment - et piaffa d’impatience en le voyant, incapable de ne pas comprendre ce que sous-entendait l’arrivée d’un Calixte en tenue d’équitation. Ses mains caressèrent les flancs du cheval, assurèrent machinalement que tout était en place : s’appuyant avec bien moins d’assuré que sa soeur sur un barrière, Calixte se mit en selle, siffla Eddie qui jouait un peu plus loin avec les autres chiens des Seymour, et sans attendre le poitevin qui courrait en aboyant pour le rejoindre, Calixte entreprit de lancer Aboukir au trot vers la forêt. Sans avoir remarqué, dans les écuries, l’absence de la monture d’Edward.

Il ne comprit son erreur qu’au bout de quelques minutes sur le circuit habituel, quand Eddie partit devant en jappant, à la rencontre d’un cavalier qui les précédait de quelques mètres. Foutu chien… EDDIE ! cria Calixte. Dites moi que je rêve… Souffla-t-il en voyant non seulement son poitevin s’immobiliser et le regarder avec de grands yeux expressifs, mais également le cavalier se retourner. Edward. Aboukir allongea le pas, les deux cavaliers furent au même niveau l’un de l’autre. Tu es venu te plaindre à Papa que je me promenais tout nu sous les appareils photo ou tu es venu chercher des compliments pour te rassurer sur tes capacités à jouer le petit duc ? La voix du petit frère lança les hostilités, persifflant des reproches qu’Edward aurait tout à fait pu lui asséner le premier. Parce que venir se plaindre du comportement d’Edward et chercher des compliments et du réconfort, c’était exactement ce qu’était venu faire Calixte. Papa est fatigué, il ne te recevra pas avant demain je le crains. Mais si ça peut te rassurer, il est au plus mal... Et la voix de Calixte, sur ses derniers mots, s’effilocha. Ecartelé entre la colère qu’il éprouvait toujours et la détresse qui menaçait de le submerger.

 
 by marelle  

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Dim 18 Fév - 19:28
Edward T. Seymour
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We are wasting his time
edward & calixte






Edward était silencieux. Il n'y avait ni musique, ni radio dans l'habitacle de sa luxueuse voiture d'avocat bien trop payé pour ses services. On n'entendait que le moteur qui ronronnait sous le châssis, que le gravier de l'allée menant au domaine qui crissaient sous les pneus. Il avait toujours aimé cet endroit. Perdu au milieu d'un bois bien entretenu et verdoyant, l'ancestrale demeure des ducs de Somerset se dressait avec arrogance au sommet d'une colline, dominant par la même occasion les villes alentours. Alors qu'il passait le portail d'entrée, Edward nota qu'un jeune apprenti repeignait la grille avec une patine si épaisse qu'il peinait à l'étaler. Un peu plus loin, deux jardiniers discutaient de la forme à donner à une topiaire dont les branches partaient dans tous les sens. Et puis, près de l'entrée de la belle bâtisse, les chiens de la famille jouaient avec le jeune fils de l'une des femmes de chambre de la duchesse. Tous semblaient s’affairer à faire vivre le domaine et pourtant, jamais Edward n'avait autant senti la mort planer sur l'endroit. Lorsqu'il eut garé sa voiture et en fut sorti, ses narines furent assaillit par cette odeur désagréable qui était pourtant sûrement le fruit de son imagination. Il se figea en reconnaissant la voiture qui était garée un peu plus loin. Pourquoi diable Calixte était-il venu précisément ce week-end là ? Soupirant, Edward se résigna presque à la tension et aux disputes qui allaient inévitablement découler de cette proximité. Depuis sa dernière altercation avec son frère, il ne lui avait pas adressé la parole. Il n'avait pas non plus mis ses menaces à exécution, estimant avec le recul que le petit frère était suffisamment grand pour assumer seul ses bêtises. Quelque part, Edward était fatigué de mener cette guerre face à un fougueux soldat qui avait, semblait-il, bien plus d'énergie à revendre que lui. Il aspirait au calme, à la solitude, à ce qu'on lui fiche la paix mais même ça... Calixte venait, par sa simple présence, de le lui refuser.

Edward attrapa sa valise, son ordinateur et sa pochette en cuir qu'il était venu remettre à son père et claqua la portière avec un agacement évident. À cet instant, il éprouvait l'irrésistible envie de prendre son frère par le col, de le jeter dans sa voiture et de lui intimer de partir au plus vite. Pourtant, il se contenta de saluer les deux jardiniers qui venaient à sa rencontre, ébouriffa la crinière blonde du petit qui jouait avec les chiens et poussa la porte massive de l'entrée. Il déposa ses affaires dans l'entrée et fut tenté de monter immédiatement à l'étage afin d'en finir au plus vite. Chaque fois qu'il était loin du domaine, Edward sentait monter en lui toute la rancœur et la colère qu'il éprouvait à l'égard de son père, ruminant des mots durs et injustes qu'il aurait aimé avoir le courage de prononcer en sa présence mais comme à chaque fois, il en était incapable. Tiraillé entre son devoir et son incapacité à être celui que son père rêvait qu'il soit, Edward n'était pas certain de pouvoir coller le mot « amour » à la relation qui le liait à son géniteur. Précepteur, éducateur voire général auraient été des mots plus justes pour le désigner. Il ne se souvenait pas que son père l'ait emmené au cinéma, ait partagé un jeu avec lui, ne se souvenait que des leçons et des rappels à l'ordre : « un duc ne joue pas, Edward, un duc a des devoirs et des principes, Edward, un duc n'a pas de temps pour les frivolités... ». Il lui avait volé son enfance, avait écrasé ses espoirs, détruit ses ambitions, fait de son fils aîné une poupée désarticulée qui craignait plus que tout le jour où ce père tant admiré et pourtant redouté rendrait son dernier souffle. Après tout, un pantin sans marionnettiste, c'était un morceau de bois inerte, désincarné, sans vie. Sans son père pour le guider, Edward craignait de se perdre un peu plus et de sombrer au point de ne plus être qu'un être détestable et proprement imbuvable. S'il ne l'était pas déjà. Sans son père... Edward n'était pas certain de pouvoir supporter de poids de cet héritage sur ses épaules. Il était sans cesse partagé entre l'envie de supplier le ciel d'échanger sa place avec celle de son père et celle, bien plus sombre, d'implorer tout autant pour que sa vie s'achève le plus rapidement possible.

Le jeune aristocrate attrapa sa pochette et entreprit alors de gravir les marches du grand escalier de marbre mais un froissement de tissu attira son attention. Sortant de son petit salon privé, la duchesse de Somerset le couvait d'un sourire bienveillant et d'un regard pétillant qui ne parvenait pourtant pas à masquer la fatigue qui tirait ses traits.

« Tu ne dis plus bonjour à ta mère, Edward ? »

Un sourire se dessina sur les lèvres du jeune homme tandis qu'il redescendait pour aller embrasser sa mère. Elle était la douceur qui empêchait la noble bâtisse des Seymour de s'effondrer, la bonne humeur qui empêchait le jardin de faner et la seule âme, avec Alice, qui faisait encre battre le cœur du domaine. Elizabeth incarnait l'élégance dans sa belle robe orangée, avec son corsage de dentelles et un col finement brodé. Il y avait aussi cette petite pointe d'originalité qui avait tant fait grincer les dents du duc, des années auparavant : il y avait toujours une breloque fantaisie, une épingle, une broche amusante qui venait casser la rigueur de sa tenue. C'était cette malice dont avait hérité Alice et qui manquait si cruellement à Edward.

« Pardonnez-moi, mère, je ne vous avais pas vue. Comment allez-vous, depuis notre dernière rencontre ? »

Il faisait bien sûr allusion à cette soirée, à ce bal où il avait retrouvé Helena Percy pour mieux s'éclipser avec elle et ne pas avoir à supporter les minauderies de ses congénères.

« Bien, ma foi... Cette soirée m'a épuisée mais j'avais besoin d'un peu de... comment dire... de vie. Comme Helena a changé ! »
« Ah... si vous le dites... »

Elizabeth haussa alors les sourcils et jeta un regard amusé à son aîné. De tous ceux à qui Edward et Helena tentaient de faire croire qu'ils se détestaient viscéralement, elle était bien la première à avoir saisi qu'ils étaient en réalité complices comme deux enfants. Comment une mère aurait-elle pu ignorer cela ?

« Comment se porte miss Howard ? »

La froideur de son ton crispa Edward qui, dans un mouvement raide, invita sa mère à regagner le petit salon. Toujours ce pouvoir maternel qui s'éveillait chaque fois que la duchesse prenait des nouvelles de ses enfants : consciente de l'instabilité de Diana, elle avait été la première à désapprouver cette union, affirmant qu'Helena ferait une bien meilleure épouse pour Edward. Impossible de convaincre la jeune Percy, la Howard s'était inclinée et Edward n'avait plus eu qu'à accepter un destin qui lui donnait d'avance envie de se pendre.

« Bien, je crois. À vrai dire, nous ne discutons pas beaucoup, elle est souvent rendue à Londres et... oh mère... c'est un calvaire. »

Voilà bien des choses que jamais Edward n'oserait dire à son père. Tandis que la duchesse s'asseyait dans un fauteuil, son fils arpentait la pièce, nerveux.

« Je sais bien que chez nous, l'union n'est pas synonyme d'amour, mais comment pourrais-je rendre heureuse une femme qui, dès qu'elle le peut, préfère mettre des centaines de kilomètres entre nous ? »

Elizabeth se leva et vint poser une main douce et pourtant ferme sur le bras de son fils pour qu'il cesse de s'agiter.

« Je sais que c'est dur, Edward, crois-moi. Lorsque nous nous sommes mariés, ton père et moi, je le fuyais et refusais de rester plus de dix minutes dans la même pièce que lui. Mais nous changeons avec l'âge, tu verras. »

Edward hocha la tête. Si sa mère se voulait rassurante, c'était le contraire qui se produisait. Il ne voulait pas de ce mariage, ne voulait pas de cette vie, ne voulait pas de... il se surprit à penser à Rosamund, à sa liberté, à cette capacité qu'elle avait de rendre les choses positives, à son sourire... mais il balaya bien vite son souvenir et se tourna vers la fenêtre, observa un long moment le parc.

« Je sais oui... il faut que j'aille le voir. J'ai ses derniers résultats médicaux et... »

Il n'eut pas besoin de finir sa phrase et quand bien même l'aurait-il voulu, sa mère l'interrompit d'un geste sec. Depuis que la santé de son époux déclinait, elle refusait catégoriquement d'être tenue au courant de l'évolution de la maladie, refusait de s'épuiser les nerfs en redoutant le jour où il partirait, préférait se dire qu'il était encore là... préférait prendre la nouvelle de plein fouet que de se laisser progressivement sombrer dans le chagrin.

« Ton frère est avec lui. »

Edward serra les poings, son regard de durci et sa voix se fit agressive.

« Qu'est-il venu faire ici ? Père ne l'aurait jamais fait venir en sachant que je suis ici. Il... »
« Je t'en prie, Edward. Je ne vous ai pas vus tous les deux depuis des mois. Accordez-moi tous les deux un week-end de répit. »

Edward hocha sobrement la tête en guise d'accord, incapable qu'il était d'affirmer que tout se passerait bien quand il savait qu'à un moment ou à un autre, lui et son frère se disputeraient. Il prit alors congés et se dirigea vers cet escalier de marbre qu'il avait appris à grimper quatre à quatre quand il était petit et qui lui paraissait soudain insurmontable. Dans quel état allait-il trouver son père ? Plus les mois passaient, plus il le voyait décliner. D'un homme robuste à la carrure imposante, George s'était progressivement recroquevillé sur lui-même, perdant ses cheveux à cause des traitements tandis que ses muscles s'étrécissaient à vue d'œil. Il avait terriblement maigrit, sa peau était de plus en plus grisâtre et parcheminée, à tel point que la dernière fois qu'il l'avait vu, Edward avait eu toutes les peines du monde à reconnaître son père. Chaque regard porté sur sa fragilité lui faisait mal et à mesure qu'il s'approchait de la chambre du duc, Edward ralentissait le pas. Devant la porte, il leva la main, prêt à frapper, mais des éclats de voix l'en empêchèrent.

« ...ward saura gérer ceci, mais ne fais rien par toi-même. J'ai entière confiance en ses capacités, ce sera un bon duc. »

Encore et toujours cette assurance qu'il avait d'avoir engendré le petit duc parfait, encore et toujours le même discours... et ce ne fut pas l'apparente jalousie de Calixte qui fit frissonner Edward de peur mais bien la détresse qui faisait trembler sa voix. À cet instant, il eut l'impression qu'en étant effacé derrière son aîné, Calixte craignait de disparaître, d'être relégué dans l'ombre avant d'y être englouti pour de bon. Edward resta figé sur le pas de la porte, incapable d'entrer mais incapable également de partir. La discussion de poursuivit, jusqu'à ce qu'il entende dans la bouche de son père des mots qu'il aurait lui-même pu prononcer à l'égard de son frère. Des mots qui lui parurent si injustes, si brutaux qu'il fut tenté d'intervenir pour prendre la défense de son petit frère, pour une fois. Mais il resta là, figé, incapable de faire le moindre mouvement. À quoi bon répéter sans cesse à Calixte qu'il pourrait un jour être duc si c'était finalement pour lui dire qu'il n'en serait jamais un digne de ce nom ? La question d'Edward trouva une réponse glaçante dans la répartie de son père.

« La santé de ton frère est fragile, le poids qui pèse sur ses épaules est lourd. »

Une fois. Il avait suffit d'une fois, d'une pneumonie mal soignée pour que l'avenir des deux frères en soit affecté. Sans cette santé fragile qui clouait Edward au lit avec la grippe au moins une fois par an, Calixte aurait peut-être pu être épargné par l'ambition démesurée d'un père. Sans la santé défaillante de l'aîné, il n'y aurait peut-être pas eu toutes ces disputes. À cet instant, Edward se sentit coupable, à tel point qu'il jugea les reproches de son frère légitime. Quelque part, c'était de sa faute, et ce même s'il ne pouvait lutter contre un organisme fragile. C'était d'ailleurs la seconde fois qu'Edward surprenait une conversation entre son frère et son père, la seconde fois également qu'il aurait préféré être sourd ou des kilomètres de là que d'avoir entendu ces quelques mots étouffés par une porte. Alors, pour ne pas avoir à en entendre davantage, il repris le couloir en sens inverse, s'enferma dans sa chambre et jeta sur le lit son costume pour le troquer contre une tenue de cavalier. Comme chaque fois qu'il sentait les événements le dépasser, Edward ne retrouvait sa sérénité qu'en compagnie d'Eden, la magnifique jumeau couleur ébène qui le suivait depuis tant d'années et que seuls Edward et Alice pouvaient monter, tant elle était farouche.

Aussi vite qu'il était entré, Edward fut dehors, se dirigeant à grands pas vers les écuries. Les mots de son père et ceux de son frère ne cessaient de tourner en boucle dans son esprit. Il savait que ces histoires de succession n'étaient plus qu'une question de mois. Que lorsque George irait rejoindre ses ancêtres dans le caveau familial, Edward et Calixte se déchireraient un peu plus, s'éloigneraient plus encore. Au fond, l'aîné aurait voulu pouvoir dire à son cadet de cesser de s'inquiéter, de s'en faire et de simplement vivre sa vie d'aristocrate sur les épaules de qui la responsabilité d'un titre ne pèserait jamais. Mais chaque fois qu'il faisait face aux attaques de Calixte, Edward ne pouvait s'empêcher de le rabaisser et de lui rappeler que lorsqu'il serait duc, il ferait de sa vie un enfer. En serait-il seulement capable, au fond ?

Lorsqu'il fut arrivé aux écuries, Edward trouva Alexandrine, la jeune femme qui prenait soin des chevaux en l'absence des enfants Seymour, en train de sortir Eden, qu'elle s'apprêtait à emmener en promenade. Il la remercia mais la pria de lui laisser les rênes, désireux qu'il était de retrouver le bois, le calme et la sensation grisante de sentir les muscles du cheval onduler au galop sous la pression de ses mollets. Il flatta l'encolure de la bête, nerveuse, qui se calma au contact de celui qu'elle sembla reconnaître. Alexandrine parut d'ailleurs soulagée qu'Edward soit là pour la remplacer. Lorsqu'il fut en selle, il s'élança d'un coup de talons vers la forêt, chassant par la même occasion ses idées noires. Pourtant, son répit fut de courte durée.

L'aboiement du chien parvint trop tard à ses oreilles, et Edward faillit chuter lorsqu'Eden se cabra, surprise par l'animal qui jappait autour d'elle. Edward tira sur les rênes, tenta de rassurer la jument et se tourna avec agaçant vers le cavalier qui le suivait.

« Fais donc taire ton sale cabot, tu ne vois pas qu'il lui fait peur ? »

Pourquoi fallait-il qu'ils aient la même idée pour se détendre ? Pourquoi fallait-il que dans les pires moment ils soient si similaires, si identiques, si prévisibles ? Lorsque Calixte fut à sa hauteur, Edward le toisa avec cette arrogance qui le caractérisait si bien. Pourtant, lorsque le petit frère attaqua sans même un salut, Edward s'affaissa légèrement sur sa selle et donna un petit coup de talons dans les flans de son cheval pour le faire avancer. Les mots de son frère lui faisait bien plus mal qu'il ne l'aurait cru car, contrairement à ce qu'il pensait, Edward n'avait aucune hâte de se voir nommer duc. Lorsqu'il entendit la voix de son frère se briser sur les derniers mots, l'aîné fit demi-tour pour lui faire face.

« Je sais... Et crois-moi ou non, ça ne me rassure pas. Je... je n'ai jamais prévenu papa pour l'article. Tu es assez grand pour assumer tes actes. »

Il aurait pu dire erreurs, il s'était contenter du mot actes, neutralisant par la même occasion ce que Calixte était le seul à pouvoir considérer comme une erreur ou une bonne action.

« Il m'a appelé il y a deux jours pour me demander pourquoi je ne te surveillais pas, pourquoi je ne contrôlais pas tes mots, tes actes... la vérité, Henry, c'est que je n'ai pas envie de le faire. Je n'ai pas envie d'être un flic qui te colle aux talons, et ce même si je désapprouve tes multiples apparitions dans les journaux. Seulement, ne viens pas me blâmer si père te reproche ce que tu as fait. Je n'ai pas besoin qu'on me rassure sur mes capacités, je sais très bien que je ne serai jamais à la hauteur de père. Heureux ? »

Un aveu fatigué qu'il concédait à son frère tandis qu'il faisait à nouveau demi-tour pour poursuivre au pas sur le sentier. Edward avait de sévères lacunes sur le plan des relations sociales, mais il connaissait suffisamment son frère pour savoir que sa colère découlait de sa détresse.

« Ça va bientôt faire quatre mois que je viens ici régulièrement. Père m'a confié la gestion de son dossier médical, ses rendez-vous avec le notaire, ses avocats, la gestion du domaine... j'ai l'impression que c'est moi qu'on s'apprête à mettre en terre. J'ai beau m'acquitter de cette tâche comme un brave petit soldat, aucun courrier ni aucun compte-rendu ne viendront le sauver. »

Edward en était arrivé à un stade où il n'avait plus la force de se mettre en colère ni de s'en prendre à son frère. Il avait simplement besoin de vider son sac, de mettre des mots sur sa détresse et d'expliquer ce qu'il ressentait.

« Je suis venu lui apporter les derniers résultats de ses analyses. Il y a une légère amélioration mais... son oncologue reste pessimiste. J'ai pourtant l'impression que le seul qui vive cette situation sereinement c'est père. Comment était-il ? »

Il le savait, pourtant. Il l'avait entendu. Et il redoutait déjà de retourner le voir. Edward ne supportait plus d'entendre son père lui répétait que bientôt il serait duc, bientôt il aurait plus de responsabilités que jamais sur les épaules, bientôt il lui faudrait pleinement s'investir auprès des Veilleurs, bientôt, bientôt, bientôt... c'était un homme résigné, qui ne craignait ni la mort, ni la douleur. Un homme qui avait déjà fait le deuil de son existence et chaque fois qu'Edward l'entendait parler ainsi, il rêvait de pouvoir le secouer pour qu'il réagisse enfin comme un humain et non comme un robot. Mais Calixte allait-il seulement comprendre que son frère aussi souffrait de cette situation ?

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Jeu 22 Fév - 12:33
H. Calixte Seymour
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Clameur d’Aboukir, si on pouvait entendre dans son nom le fracas d’une bataille navale, des frégates et le roulement des canons aux obus brisant bois et chair, si on pouvait entendre dans son nom les cris des marins acclamant Lord Nelson, ne devait son nom qu’à la fascination qu’avait eu à l’époque Calixte pour la bataille - victoire d’Aboukir et en rien à cause d’une quelconque humeur guerrière. Dans les faits, l’alezan était un animal parfaitement dressé, parfaitement placide, au caractère et aux humeurs égales, plus joueur et attentif que réellement impétueux ou rétif. A dire vrai, il offrait un contraste des plus marqués avec Edison, le poitevin joueur, et Calixte, le Seymour caractériel et impulsif, et c’était pour le mieux. Car Calixte avait beau avoir été élevé dans un milieu aristocrate chérissant l’escrime, l’équitation et la bienséance, il ne maîtrisait les codes d’aucun aussi bien que son frère et sa soeur, et n’avait pu se démarquer que dans les domaines plus artistiques. En un mot comme en dix, Calixte n’était pas un excellent cavalier, et jamais il n’aurait considéré très sérieusement monter une jument comme Eden, merci bien. Clameur d’Aboukir, donc, n’était pas un cheval compliqué. Complice avec Calixte, il se pliait avec grâce et douceur à ses injonctions, et quand Eddie partit devant en aboyant, il ne broncha pas plus que ça, habitué qu’il était à chasser avec le garnement canin. Il ne broncha pas davantage quand Calixte se dressa sur ses étriers en rappelant le chien de chasse, se contenta d’allonger le pas pour rejoindre sa partenaire qui - elle - marqua de manière bien plus visible sa désapprobation. Tout comme le fit l’aîné Seymour sans attendre. « Fais donc taire ton sale cabot, tu ne vois pas qu'il lui fait peur ? » Dresse donc plutôt ta jument à ne pas avoir peur de son ombre au lieu de râler. D’une pression des genoux, Aboukir s’aligna à Eden pour mettre Calixte au niveau de son frère. La jument n’était pas calmée que Calixte attaqua à son tour, sans laisser le moindre répit à Edward qui, de toute manière, n’en méritait pas.

La colère et l’inquiétude de Calixte s’entremêlaient dans ses pensées pour former un cocktail explosif d’agressivité, teinté d’une satisfaction amère lorsque la cible de ses mots s’affaissa légèrement sur sa selle. Tous les reproches du monde pouvaient se faire, toute la mauvaise foi du monde pouvait se déployer, à cet instant, dans les prunelles obscurcies de Calixte. La maladie seyait fort mal à Papa, le rendant trop honnête, trop direct, trop blessant et par moment, le cadet avait comme la conviction de n’être au final que le bouc émissaire et le souffre-douleur d’un duc mourant. Voir son frère dans cet état d'esprit, Calixte ne le savait que trop bien, ne saurait en aucune façon bien se terminer, pas de son propre fait du moins.


« Je sais... Et crois-moi ou non, ça ne me rassure pas. Je... je n'ai jamais prévenu papa pour l'article. Tu es assez grand pour assumer tes actes. » Un regard amer, voilà la réponse de Calixte. Il ne pouvait que noter le vocabulaire employé, délibérément neutre à n'en pas douter même s'il refusait d'en croire un mot. Edward faisait un bien meilleur coupable qu'une quelconque fatalité. Et c'était bien plus simple de partir du principe qu’Edward avait de son propre chef attisé la fatigue et la contrariété de Papa plutôt que de regarder la réalité en face : qu'il ne récoltait que ce qu'il avait semé.

« Il m'a appelé il y a deux jours pour me demander pourquoi je ne te surveillais pas, pourquoi je ne contrôlais pas tes mots, tes actes... la vérité, Henry... Machinalement il rectifia en un Calixte crispé, c'est que je n'ai pas envie de le faire. Je n'ai pas envie d'être un flic qui te colle aux talons, et ce même si je désapprouve tes multiples apparitions dans les journaux. Seulement, ne viens pas me blâmer si père te reproche ce que tu as fait. Je n'ai pas besoin qu'on me rassure sur mes capacités, je sais très bien que je ne serai jamais à la hauteur de père. Heureux ? » Aboukir se figea, vecteur de la volonté semi-consciente de son cavalier. Pardon ? Edward venait-il réellement d'avoir un éclair de lucidité ou faisait-il preuve d'une fausse modestie sadique teinté d'un auto-apitoiement aussi irritant que blessant ? Entre Papa, ne le voyant que comme un petit duc de secours et Edward qui se pavanait en arguant ne pas vouloir d'un titre qu'il avait pourtant promis de tenir autant que possible hors de portée des mains de son petit frère, c'en était à se demander si un petit plaisantin n'avait pas fait la farce de bousculer le calendrier chrétien pour placer la St Calixte en janvier. Parce que tout portait à croire que l'on faisait sa fête, aujourd’hui plus que tout autre jour, et si Calixte n’était jamais en reste lorsqu’il s’agissait de s’étourdir de bruit, d’alcool et de galantes compagnies, c’en était tout autre lorsque son orgueil était en jeu. Comme maintenant.

Et pourtant, Edward semblait sérieux. Et pourtant, Edward semblait fragile, autant que l’était Calixte dès lorsque la santé de Papa entrait dans la conversation. Comme maintenant. A cet instant plus que jamais auparavant, le petit frère se sentit très étrangement proche de son aîné, à le voir nerveux, à le voir dans une équilibre précaire entre ce qu’il pouvait se permettre d’exprimer et ce qu’il devait contenir. « Ça va bientôt faire quatre mois que je viens ici régulièrement. Père m'a confié la gestion de son dossier médical, ses rendez-vous avec le notaire, ses avocats, la gestion du domaine... j'ai l'impression que c'est moi qu'on s'apprête à mettre en terre. J'ai beau m'acquitter de cette tâche comme un brave petit soldat, aucun courrier ni aucun compte-rendu ne viendront le sauver. » Calixte le laissa parler. Calixte le laissait parler. Songeur. Gorge nouée, également. Toujours, toujours cette injustice qui lui broyait les tempes, lui donnait envie de haïr Papa pour ses propos et d’angoisser, pourtant, à la seule perspective d’un décès et avant cela d’une dégénérescence accélérée. Brave petit soldat, braves petits soldats, ils l’étaient tous les deux à leurs manières. Calixte le délaissé, Edward le trop souvent sollicité. Braves petits soldats, la déception et la fierté. Ses mains gantées allèrent flatter Abou pour lui donner une raison supplémentaire de se taire, ses yeux cherchèrent Edison qui courait autour d’eux - à distance respectable d’Eden fort heureusement - et qui, langue pendante, flairait tantôt la trace d’un lièvre, tantôt celle d’un sanglier, Calixte pouvait le devenir aux réactions excitées ou craintives qui animaient successivement le jeune chien. « Je suis venu lui apporter les derniers résultats de ses analyses. Il y a une légère amélioration mais... son oncologue reste pessimiste. J'ai pourtant l'impression que le seul qui vive cette situation sereinement c'est père. Comment était-il ? » Il n’eut guère à réfléchir pour répondre, l’adjectif adéquat pour qualifier Papa lui venant sans difficulté, craché du bout des lèvres : Infect. Papa avait été infect, Papa l’était de plus en plus. Et Calixte, fort de toutes ses contradictions, se voyait bien incapable d’effectuer en lui-même les changements qui auraient pu le mener vers d’autres réactions. Une inspiration, il se bornait à éviter le regard d’Edward, tout à ses ruminations et son écoeurement, tout à sa détresse et son inquiétude. J’ignore si cela est bon signe, mais il semble particulièrement en bonne forme pour me rappeler à quel point mon comportement n’est pas digne d’un peut-être-un-jour-si-jamais duc. Et on sentait, palpable dans sa voix, l’amertume si concentrée qu’elle en devenait haut-le-coeur, qu’il pouvait ressentir. Une respiration, Calixte se força à un peu plus de recul lorsqu’il reprit. Mal. Il est très affaibli, très amaigri, c’est évident. Je... Calixte hésita. Les confidences fraternelles n’étaient pas dans leurs habitudes et pourtant, il ne pourrait en discuter avec personne d’autre qu’Edward. Hors de question d’aborder le sujet avec Alice qu’il avait tendance à infantiliser, impossible d’en toucher deux mots à Maman. Calixte hésita. Céda. Je ne me sens pas prêt, pas prêt à vivre sans lui. L’incertitude me paralyse lorsque j’ose effleurer la perspective d’un enterrement et de ce que cela signifiera pour nous. Et s’il était difficile, souvent, de savoir quand Calixte mentait, son honnêteté à cet instant était des plus palpables. Sais-tu que John… John Seymour doute de notre capacité à gérer Anthony d’une part, Jeremy d’une autre ? Il craint que nous ne parvenions à imprimer la marque des Seymour dans l’avenir de notre Veille et que l’on se fasse consumer d’un côté par la mollesse des Percy, de l’autre par la détermination des Howard. Au prochain conseil, si j’en crois la confiance que Papa te porte, tu seras celui qui prendra la parole au nom des Seymour. Et Papa ne sera pas enterré que déjà notre famille ne parlera plus d’une seule voix. Calixte considéra la courbe que faisait le chemin, et l’obscurité induite par la masse des arbres et le ciel nuageux qui se profilait à l’horizon. Aboukir s’arrêta, docile. Ce n’était pas une obscurité complète, mais il y avait suffisamment d’ombre pour que l’angoisse le paralysie presque autant que la perspective d’être orphelin de père avant ses trente ans. Il secoua la tête. Pourrai-je voir les résultats de Papa ? La question lui échappa : il ne pouvait que rapprocher ces ombres qui le terrifiaient de ces résultats inconnus, certain que si d’un côté Papa considérait avec mépris la peur panique de son cadet, il lui refuserait de l’autre le droit de savoir à quel point la situation n’était plus seulement dramatique mais surtout critique. Critique au point que Calixte en oubliait qu’il détestait son frère.

 
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Dim 25 Fév - 11:10
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C'était plus fort que lui. Chaque fois qu'Edward était en présence de son frère, il se crispait, sentait ses muscles se tendre et sa mâchoire se crisper d'agacement. Chaque fois qu'ils étaient à moins de dix mètres l'un de l'autre, on pouvait sentir une tension malfaisante emplir l'air et menacer d'étouffer ceux qui osaient s'interposer entre les deux Seymour. C'était à croire qu'ils étaient fait pour se haïr et se tirer dans les pattes, pour se détester et maudire l'autre pour éviter d'avoir à affronter leurs propres démons. Edward aurait aimé pouvoir simplement ignorer son frère mais il avait le don de s'imposer et de poser son insupportable assurance sur la table pour être certain d'être bien vu par tout le monde. Edward ne supportait pas cette manière qu'avait Calixte de s'imposer en société, de se présenter comme l'homme que l'on attendait, l'individu grossier qui se permettait tout, surtout de s'imposer dans des conversations qui ne le regardaient pas. Edward ne supportait pas cela car, quelque part, il aurait aimé avoir un peu de l'assurance de son petit frère et d'être capable d'aller au contact de ses semblables sans que leur présence ne l'emmerde profondément ou qu'il se demande pendant vingt minutes par quelle phrase il allait pouvoir entamer la conversation. Tout n'était que paillettes et grandiloquence chez Calixte, jusqu'au nom qu'il avait donné à son cheval. Une bête bien dressée, docile et aimable, qu'Edward n'aurait pas supporté de monter tant il le trouvait mou. Tandis qu'il calmait la nerveuse Eden, l'aîné foudroya son frère du regard.

« Au moins Eden a-t-elle un semblant de vivacité, contrairement au tien... il est catatonique mais il te faut bien ça pour tenir sur un cheval sans avoir l'air ridicule ! »

À quoi bon se dire bonjour et demander des nouvelles de l'autre quand on pouvait simplement l'agresser aussi gratuitement ? Pourtant, Edward se calma rapidement, abattu qu'il était de savoir son père de plus en plus mal en point. Il avait envie de hurler à son frère de lui foutre la paix, de le laisser seul face à ses réflexions et d'aller emmerder quelqu'un d'autre mais s'il l'avait fait, Calixte aurait bien pris soin de faire durer leur conversation pour être certain de faire le contraire de ce que voulait son frère. Alors il parla, vida son sac, leva les yeux au ciel quand son adolescent de frangin le repris sur son prénom et acheva son discours par un aveu qui sembla surprendre le cadet. D'un regard, Edward lui fit comprendre qu'il ne se répéterait pas. C'était plus de la résignation et de la colère qui s'exprimait dans ses mots. Il savait qu'il ne serait jamais à la hauteur de son père pour la simple et bonne raison qu'il ne serait jamais son père. Ils appartenaient à deux époques différentes, voyaient les choses différemment et le seul moyen qu'Edward avait trouvé pour coller aux ambitions de son père avait été de gommer ses souhaits, ses envies et aspirations de sa personnalité pour ne plus être tenté de se rebeller contre l'autorité parentale. Ce n'était pourtant pas l'envie qui lui manquait... cependant, jamais il n'irait avouer à son frère qu'en d'autres circonstances, il lui aurait bien volontiers laissé le titre pour aller voir ailleurs s'il y était. Avouer qu'il ne serait pas à la hauteur de son père était une chose, concéder une victoire à Calixte en était une autre.

Edward était déjà fatigué à l'idée de devoir confronter son père, fatigué parce qu'il allait lui rabâcher à quel point il était nécessaire qu'il empêche son frère de faire n'importe quoi, à quel point il devait s'investir en tant que Veilleur pour maintenir l'équilibre, que ceci, que cela... mais George Seymour était devenu duc très jeune, il n'avait eu d'autres choix que de se construire lui-même et avait eu toute une vie pour cela. Edward n'était finalement qu'un enfant, perdu dans palais de cristal bien trop grand pour lui et qui ne reconnaissait dans aucun des miroirs que son regard pouvait croiser. Il ne s'était pas construit, il avait laissé un autre le façonner sans avoir le droit de dire quoi que ce soit.

Silencieux, Edward écouta son frère lui faire état de la santé déclinante de leur père et esquissa un sourire amusé lorsqu'il se contenta du mot « infect » pour le décrire. Leur père avait toujours eu la maladie en horreur. Qu'importe le virus qui lui menait la vie dure, il était grognon et désagréable tant qu'il n'était pas tiré d'affaire. Seulement cette fois, il ne s'en tirerait pas et plus les mois passeraient, plus son déclin le rendrait insupportable. Edward jeta un regard en coin à son frère et se mordit la langue pour ne pas lui répliquer que s'il ne voulait pas se faire houspiller, il n'avait qu'à se comporter correctement et être adulte pour une fois dans sa vie. À la réflexion, ce genre de remarque n'aurait fait qu'envenimer un peu plus la conversation. De toute manière, il n'eut pas besoin de rappeler Calixte à l'ordre puisqu'il compris de lui-même ce que voulait son frère. Cette fois, Edward se tourna vers son cadet. Il hésitait, semblait vouloir lui confier quelque chose sans pour autant parvenir à le faire. Calme et toujours aussi silencieux, Edward préféra le laisser finir que de le brusquer, et les mots de son frère lui touchèrent bien plus qu'il ne l'aurait cru. La voix de son petit frère tremblait et l'incertitude d'un avenir bien sombre semblait véritablement l'inquiéter. Songeur, Edward leva les yeux vers la cime des arbres, à travers laquelle il voyait le ciel se dessiner par endroits.

« On ne se sent jamais vraiment prêt pour ce genre de chose... On a beau affirmer qu'on s'y attend, qu'on connaît le verdict à l'avance, la mort survient toujours au moment où on y est le moindre préparé. Et elle n'est finalement cruelle que pour ceux qui restent. »

Il avait presque l'air trop calme, trop serein, trop résigné, en disant cela. C'était pourtant le genre de chose qu'Edward se répétait chaque jour pour ne pas se laisser à l'angoisse ou à la mélancolie. Ce que ça signifiait pour eux ? Il baissa à nouveau les yeux et les garda résolument tournés vers le chemin pour ne pas avoir à affronter ceux de son frère.

« Tu sais très bien ce que ça signifie pour nous. Il va falloir soutenir mère et Alice... Alice sera la plus touchée d'entre nous et tu le sais. J'aimerais pouvoir te dire que nous allons nous serrer les coudes tous les deux pour traverser cette épreuve mais... soyons réalistes. »

Bien trop résigné. Si résigné qu'il en était certainement plus qu'agaçant. En réalité, contrairement à son frère qui semblait avoir déjà une idée de ce que serait « l'après », Edward refusait de trop y penser. Il ne se voyait pas duc, ne se voyait pas orphelin de père, ne se voyait pas contraint plus que jamais de devoir lutter pour s'imposer, surtout face à son frère. Il ne se voyait pas sans un père pour lui dire quoi faire. Pourtant, lorsque Calixte mentionna leur cousin, John, Edward senti monter en lui cette colère et cette arrogance qui refaisaient surface un peu trop souvent à son goût. C'était dans ces moments-là que s'exprimaient le mieux sa ténacité et son orgueil.

« Comment ose-t-il douter de nous ? Cet imbécile n'a jamais supporté d'avoir été pendant dix ans l'héritier de papa, puisqu'il n'avait pas d'enfants... il sait que si ce n'est pas moi qui prends la suite de père, tu le feras. Il n'a aucune chance d'être duc un jour et... l'influence qu'il a sur certains Veilleurs m'inquiète. »

Edward se tut un moment et son regard songeur se perdit dans la magnifique crinière d'Eden. Il n'avait jamais aimé John et pourtant, Edward avait tendance à se comporter comme lui, par moments. De 8 ans son aîné et fils de son oncle, John avait grandi en étant persuadé que si George n'avait pas d'enfants, c'est lui qui hériterait du duché de Somerset. Et puis Edward était né, suivi de Calixte et ses espoirs avaient été étouffés dans l'œuf. Jaloux, arrogant et prétentieux, voilà qu'il se mettait en plus à remettre en cause l'autorité de ses cousins à la tête de la famille ?

« Je doute qu'il ait un jour l'appui d'Anthony, nous nous faisons trop confiance pour cela. L'ennui, c'est qu'il est bien plus proche des branches cadettes Howard et Percy. L'équilibre des aînées est fragile, nous évoluons selon une hiérarchie dépassée et avec des principes qui n'ont pas changé depuis le XIXè siècle... je crains que les branches cadettes ne s'organisent pour mettre en pièces notre autorité et asseoir leur propre vision de la veille. »

Ces réflexions, Edward les gardait pour lui depuis trop longtemps. Chaque fois qu'il tentait d'en parler avec son père, celui-ci le coupait dans son élan en lui affirmant que jamais aucun Seymour n'avait trahit les siens. Plus sceptique et surtout réaliste, Edward voyait le reste de la famille tourner autour du corps décharné de son père tels des vautours prêt à lui fondre dessus dès qu'il rendrait son dernier soupir. Lorsque son frère s'arrêta, Edward tira légèrement sur les rênes pour qu'Eden face volte-face.

« Hen... Calixte... », le nom lui arracha la langue mais il le consentit à son frère, « Tu crois que nous devrions réformer les rangs des Veilleurs afin d'endiguer ce problème ? L'opinion des gens change... j'ai peur que d'ici quelques années nous ne devenions les méchants de l'histoire au lieu d'être les garants de l'équilibre. »

Pris dans ses réflexions, Edward n'avait même pas songé à employé le « je » exclusif, incluant malgré lui son frère dans l'histoire. Au fond, il savait qu'en unissant ses forces à celles de Calixte, ils pourraient remettre de l'ordre chez les Veilleurs. Il savait aussi qu'en agissant ensemble et ne parvenant pas à un accord, il pourrait faire voler en éclats le fragile équilibre qui faisait tenir debout le château de cartes décrépit que représentait leur organisation. Et puis il était pragmatique, le Seymour. Pour ne pas penser au décès prochain de son père, il parlait stratégie, organisation, restructuration... Edward ignorait si son frère comprendrait qu'il ne s'agissait pas là d'une forme d'indifférence mais bien du déni dans lequel il s'obstinait à se murer pour ne pas avoir à affronter la réalité. Calixte était bien plus conscient des choses que son frère, bien plus lucide quant à l'état de son père. Aussi, quand Calixte lui demanda les résultats médicaux de son père Edward secoua-t-il la tête.

« Non, tu ne peux pas. »

Comprenant trop tard que sa réponse était abrupte et susceptible d'être mal interprétée, Edward se repris.

« Les documents sont scellés. Tu connais père, il craint sans cesse que son état de santé ne devienne public et préfère être le seul à avoir la vérité sous les yeux. »

Donnant un petit coup de talons dans les flancs d'Eden, Edward se rapprocha de son frère et sorti son téléphone de la poche intérieur de sa veste.

« J'ai simplement quelques captures d'écran faites pendant que son oncologue avait le dos tourné... Tiens, regarde. C'est un peu flou mais je n'ai rien de mieux. La tumeur a commencé à se métastaser mais la dernière chimio a permis d'en stopper la progression. Je n'ai pas les résultats de ses dernières analyses, en revanche. Le médecin m'a juste dit qu'avec l'accord de père, il pourrait le réopérer pour tenter de retirer un maximum de tumeurs mais... »

Mais il savait aussi qu'étant donné l'état en constant déclin du duc, une opération pourrait lui être fatale. Edward laissa son téléphone à son frère. Cette photo prise à la va vite des derniers clichés réalisés par le médecin, il ne les avait que trop regardé, de toute manière.

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Dim 4 Mar - 16:06
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De la part d’un homme qui ne craignait rien de plus que les ténèbres et l’obscurité, c’était amusant de voir Calixte critiquer la jument d’Edward – trop nerveux – et lui reprocher d’avoir peur de son ombre. Et pourtant, c’était plus fort que lui, dans ce genre de situation, Calixte avait besoin de répondre aux attaques et aux critiques de son frère, même les moindres. C’était, après tout, une véritable question de principe. Leur précédente altercation s’était soldée par une victoire douce-amère du cadet, il ne souhaitait rien de moins à présent qu’une reddition complète d’Edward. Ce besoin de le surclasser en tout point était inscrit dans les gènes de Calixte, gravé au fer rouge dans sa poitrine, dans sa respiration. Besoin de se savoir meilleur, supérieur. Besoin d’avoir l’ascendant, besoin de l’avoir sous son pouvoir, de le surplomber avec morgue, grâce et élégance, avec violence aussi. Besoin de le mettre à terre. Besoin de le haïr. Avec force. Calixte avait besoin de tout cela, pour la simple raison que s’il était venu chercher du soutien et de la force auprès de Papa, il n’en avait récolté que des blessures supplémentaires dans son amour propre, des blessures que le fiel d’Edward ne pouvait qu’infecter davantage. « Au moins Eden a-t-elle un semblant de vivacité, contrairement au tien... il est catatonique mais il te faut bien ça pour tenir sur un cheval sans avoir l'air ridicule ! » Le plus jeune toisa son aîné avec un dédain tout particulier, guidé comme toujours par cette colère qui embrasait ses muscles. Au moins sais-je monter autre chose que des chevaux, le sous-entendu, vers lequel Calixte revenait un peu trop souvent, comme si ses performances dans ce domaine étaient les seuls qu’il puisse réellement revendiquer pour dépasser son frère, lui laissa un désagréable goût de moisissure dans la gueule, une saveur de défaite, en accord avec le parfum de cette journée qui n’en finirait donc pas de le mettre à terre.

Papa, Papa avait été infect. Et à présent, c’était d’Edward dont Calixte recevait les critiques. Alors même qu’une détresse palpable unissait les deux frères, dans cette forêt qui leur appartenait à tous deux, dans cette atmosphère paisible qui les enveloppait tous deux. L’électricité, l’animosité, la haine, tout cela émanait de leur rivalité et non de leur environnement. Le silence de Calixte aux propos étonnamment posés d’Edward – nouveau point accordé à l’aîné dans ce match qui penchait désagréablement en la faveur de ce dernier – furent une concession, les rares syllabes crispées du cadet furent chacune des redditions. Et le calme revint en même temps que la réalité : un calme factice bien évidemment, simplement né des propos qu’ils tenaient et de leurs gravités. Le bilan de santé de Papa était, au final, presque plus important que tout le reste, plus important que cette envie malheureusement décroissante qu’avait Calixte de sauter sur son frère pour lui faire mordre la poussière. Plus important que tout le reste. Plus important que leurs orgueils respectifs. Plus important que ce titre qu’ils se disputaient, quand bien même l’affaire était scellée depuis leur naissance. Plus important que tout, plus important qu’absolument tout. Plus important, finalement, que la colère de Calixte. Son amertume, sa rancœur, sa colère étaient asséchés par sa détresse. Leur père était infect, la malade détruisait ses barrières de diplomatie et d’hypocrisie pour le laisser à vif d’une vérité tranchante, et quand il s’entendit se confier à son frère, Calixte se rendit compte qu’il ne faisait en réalité que lécher les plaies reçues un peu plus tôt. Papa avait été infect, Papa était très affaibli. Très amaigri. Plus vieillissant que jamais. Plus fragile que jamais. Une inspiration. La langue de Calixte se déliait sans son réel consentement, il ne pouvait regarder Edward dans les yeux. C’était une trêve qui se profilait dans tous ses mots, une trêve parce qu’il offrait à Edward des armes pour le détruire. La réalité, c’était que Calixte n’était pas prêt. Il ne l’avait jamais été mais il le comprenait maintenant plus que jamais.

Il n’était pas prêt à faire face à un nouveau décès. A une nouvelle mort. Trop préservé, le petit Seymour, trop protégé. Bercé d’illusions, de fausses promesses, d’interdiction peuplée d’un si fantomatique qui le hantait et qui allait s’évaporer sous peu, définitivement, pour ne subsister qu’un spectre nostalgique d’un potentiel perdu. Calixte n’était pas prêt à affronter tout ça, pas plus qu’il ne se sentait prêt à faire à nouveau face à son père, à le regarder dans les yeux sans savoir s’il devait le haïr pour ses mots, ou l’aimer pour les mois qui lui restaient.  

« On ne se sent jamais vraiment prêt pour ce genre de chose... On a beau affirmer qu'on s'y attend, qu'on connaît le verdict à l'avance, la mort survient toujours au moment où on y est le moindre préparé. Et elle n'est finalement cruelle que pour ceux qui restent. » Lentement, Calixte acquiesça. D’un regard en coin, il jaugea la silhouette de son frère, aux yeux rivés sur la route. Aux yeux baissés sur le chemin. Quel putain de salaud. Calixte articula entre ses dents crispés, ne faisant malheureusement ni référence à la mort, ni à son frère. Mais bel et bien à Papa. Qui allait les abandonner, tout content : de l’ensemble des Seymour, Papa lui faisait souvent l’impression d’être le plus serein face à la perspective de son départ, comme satisfait de voir les pleins pouvoir remis entre les mains d’un Edward plus infect que jamais. Ses doigts se crispèrent sur les rênes. « Tu sais très bien ce que ça signifie pour nous. Il va falloir soutenir mère et Alice... Alice sera la plus touchée d'entre nous et tu le sais. J'aimerais pouvoir te dire que nous allons nous serrer les coudes tous les deux pour traverser cette épreuve mais... soyons réalistes. » Un petit rire secoua le cadet, en réponse à ce qui planait autour d’eux. Se serrer les coudes… Conneries… C’était en effet une belle preuve de stupidité que d’espérer de la part des deux frères davantage qu’une trêve provisoire comme ils en expérimentaient une à l’instant. Tout comme ce n’était qu’une connerie que d’imaginer Alice plus touchées qu’eux : Ne sous-estime pas Alice. C’est une grande fille, elle ne souffrira pas plus que nous. Ou du moins, ne souffrirons-nous pas moins qu’elle, soufflèrent ses propos. Calixte savait bien que sa réputation ne faisait pas de lui le plus pur représentant des Gryffondor question courage, et il se doutait bien qu’Alice fera, le jour venu, bien plus honneur à leur famille que lui en sera capable. Passera-t-il alors davantage qu’actuellement pour une pleureuse et un faible aux yeux d’Edward et du monde ? Très certainement. Ses doigts se resserrèrent un peu plus, Aboukir hésita, sentant clairement la nervosité de son cavalier, une nervosité que Calixte était tout bonnement incapable de ne pas lui transmettre.

Il secoua la tête, préférant changer de sujet. En parlant de tout ce qu’un décès risquait de signifier pour la famille ducale… Il évoqua à son frère sa récente altercation avec Seymour, un cousin dont il se serait bien passé ces derniers mois. Et un cousin qui n’allait pouvoir qu’envenimer davantage les choses, c’était une certitude. « Comment ose-t-il douter de nous ? Cet imbécile n'a jamais supporté d'avoir été pendant dix ans l'héritier de papa, puisqu'il n'avait pas d'enfants... il sait que si ce n'est pas moi qui prends la suite de père, tu le feras… » Une douche glacée tétanisa Calixte. Brutalement. Il n’écouta rien de ce qui suivit, fut incapable ne serait-ce que de respirer pendant qu’Edward continuait sur sa lancée, sur son monologue, évoquant Anthony, Jeremy, ses certitude et tout ce qui faisait de lui un duc en devenir et la fierté de Papa, tout ce que Calixte aurait pu dire également – bien évidemment – si on lui avait demandé son avis et tout ce que… Calixte ne savait plus comment respirer. Et l’obscurité qui approchait, au détour d’un nouveau virage pour les enfoncer davantage dans le bois, n’aidait en rien le petit Seymour à reprendre contenance. Qu’est-ce qu’Edward venait de dire, au juste ? Si ce n’est pas moi qui prends la suite de père, tu le feras. Mais quel enfoiré. Quel petit enfoiré. Aboukir devenait de plus en plus nerveux au fur et à mesure que la poigne de Calixte perdait en souplesse et gagnait en colère, à nouveau. « Hen... Calixte... Tu crois que nous devrions réformer les rangs des Veilleurs afin d'endiguer ce problème ? L'opinion des gens change... j'ai peur que d'ici quelques années nous ne devenions les méchants de l'histoire au lieu d'être les garants de l'équilibre. » Ce fut un regard noir qui répondit à son interpellation. Un regard déséquilibre, en contraste avec cette trêve qui les avait rapprochés l’espace de quelques minutes et qui venait de voler en éclat. Je ne crois rien du tout. Après tout, comme tu me le rappelles si bien, je ne suis que le deuxième sur la lignée de succession du titre et de la gouvernance des Veilleurs. Je n’ai pas mon mot à dire sur le sujet, Papa me l’a parfaitement rappelé tout à l’heure. Aboukir fit volteface, renâclant sous le peu de délicatesse que Calixte était présentement capable de mobiliser. Une autre de ces blessures à vif qui suintaient de sa détresse. Ce nous employé par Edward aurait pu, avec d’autres phrases, satisfaire le petit frère. Mais non. En la personne de John se tenait le rappel de ce qui échappait à Calixte, en la personne d’Edward il ne voyait qu’un post-it sur lequel était écrit « SI JAMAIS », un si haïssable. Détestable. Que Calixte abhorrait. Un conditionnel qui n’était qu’une épée de Damoclès sur sa nuque, à la pression constante, qui le rendait fou, toujours plus fou. Et un si qu’Edward avait manipulé avec tant de naturel que Calixte commençait à douter d’en être un jour libéré. Si, si, si ! Calixte explosa. Une part de lui voulait aller dans le sens d’Edward, concernant un ordre des Veilleurs trop embourbé dans des principes, pour ensuite avancer sa propre vision des choses, teinté de cette chevalerie qui avait pétri son enfance au même titre que la bataille d’Aboukir, sur une hiérarchie plus dure et plus flexible à la fois, sur une implication plus tangible chez ces mous de Percy, sur un engagement volontaire, noble et marqué. Une part de Calixte voulait débattre avec son frère de l’avenir des veilleurs, exposer son point de vue. Mais il y avait ce si, ce si qui n’en finissait pas. Où sont passées tes histoires de fils et d’héritier ? Ne crois-tu pas que ce si, Papa ne me l’assène pas suffisamment ? Même toi, même toi qui me hais autant que je te hais, tu ne m’en libèreras donc jamais ? Calixte perdait pied, lui-même le sentait. Sa voix elle-même s’était défaite de son animosité pour s’alourdir d’une fatalité qui n’attendait strictement aucune réponse de la part d’Edward. Juste de la rancœur ressassée, encore et encore, qui macérait dans la gorge de Calixte depuis la première fois qu’il avait entendu ce si. Non, tu ne peux pas te permettre d’être moins exemplaire que ton frère parce qu’il se pourrait que tu aies un jour à prendre sa place, ainsi lui avait parlé Papa, il ne devait pas avoir plus de sept ou huit ans. Trop peu pour se rendre compte que cette phrase allait revenir, trop âgé pour ne pas en saisir les implications.

Second. Roue de secours. Pièce de rechange, il n’était qu’une pièce de rechange, un faux qu’on pouvait mettre en avant à la place de l’original si jamais ce dernier venait à être défectueux. Un faux moins précis, de toute évidence, moins apprécié, un faux, un ersatz, que le second. Qui n’avait pas le droit d’être traité de la même manière que son aîné, il suffisait pour le comprendre non seulement d’entendre Papa parler, mais également de voir ces résultats médicaux qu’on tenait à distance de son regard, comme une preuve supplémentaire du gouffre qui le séparait d’Edward et qui, lui de se comblait, s’en trouvait creusé pendant l’agonie de Papa. « Non, tu ne peux pas. » Un juron traversa les lèvres de Calixte. Salaud. Ce n’était pas réellement dirigé vers Edward, que ce dernier ne se fasse pas d’illusion, c’était dirigé une nouvelle fois vers Papa, qui devait – Calixte en était convaincu – se trouver derrière cet interdit. Même si, selon l’avis du cadet, Edward n’avait guère dû tenter de débattre. « Les documents sont scellés. Tu connais père, il craint sans cesse que son état de santé ne devienne public et préfère être le seul à avoir la vérité sous les yeux. » Calixte haussa les sourcils. S’il connaissait Papa ? Mais quel enfoiré… Un enfoiré aux oreilles assurément sifflantes. Calixte secoua la tête, détourna le regard, manqua de voir le mouvement d’Eden vers un Aboukir bien plus placide maintenant que Calixte avait repris contrôle de sa nervosité. Ses yeux se plissèrent sous l’écran de téléphone que lui tendait Edward. « J'ai simplement quelques captures d'écran faites pendant que son oncologue avait le dos tourné... » C’est que tu te fais rebelle et désobéissant, dis moi… La raillerie s’imposa, dénuée toutefois de réellement méchanceté. Ou presque. « Tiens, regarde. C'est un peu flou mais je n'ai rien de mieux. La tumeur a commencé à se métastaser mais la dernière chimio a permis d'en stopper la progression. Je n'ai pas les résultats de ses dernières analyses, en revanche. Le médecin m'a juste dit qu'avec l'accord de père, il pourrait le réopérer pour tenter de retirer un maximum de tumeurs mais... » D’un mouvement de main, Calixte interrompit ces explications. Il n’était pas médecin, même s’il travaillait dans des laboratoires pharmaceutiques. Son domaine, c’était les finances, aux yeux du monde, c’était la musique et les arts – tous les arts – lorsqu’on y regardait de plus près. Mais la médecine ? Non, malheureusement non, ce n’était vraiment pas son domaine. Laisse tomber le vocabulaire précis, tu sais bien que je suis con, inculte et qu’est-ce que tu avais dit la dernière fois ? Désespérément digne de représentant de Béotie ? Si je comprends bien, ça ne va pas mieux, ça empire, il faudrait le réopérer et Papa, tu le sais tout comme moi, verra ça davantage comme un nouveau risque d’exposer ça que comme une véritable solution. Un nouveau juron, bien plus imagé que le précédent, devança une nouvelle attaque destinée à Papa : Quel petit fils de p… Il n’a pas le droit de nous laisser. Et ça, non. Il n’en avait pas le droit. Calixte regarda de plus près les photos qui étaient certes incompréhensibles mais également les premières preuves concrètes et médicales de la maladie de Papa qu’il avait sous les yeux. Sa main commença à trembler. Putain, ça pue. Il n’a pas le droit de nous tenir dans l’ignorance, putain. Ouh, que les petites, chastes et fragiles oreilles d’Edward devaient souffrir le martyr à cet instant, Calixte ne lésinait ni sur les insultes, ni sur la vulgarité. Son oncologue, je veux avoir ses coordonnées. Il m’expliquera certainement mieux. Sauf si Papa lui avait expressément donné l’ordre de n’en parler à personne. Auquel cas, Calixte comptait juste insister davantage. Tu penses qu’on a combien de temps devant nous ? Qu’il a combien de temps devant lui ? Ce serait quoi comme opération ? On devrait mobiliser les ressources des veilleurs pour trouver un foutu dégénéré aux pouvoirs de régénération et ce serait vite réglé. Sauf qu’il n’en était, bien évidemment, pas question. Papa ne tolèrera jamais qu’un mutant ne l’approche, les Veilleurs ne toléreront jamais de s’exposer ainsi, et surtout, Papa n’acceptera jamais de révéler la gravité de son état aux autres. C’est ridicule qu’un des actionnaires majoritaires d’Asclepios se retrouve dans cet état, putain. Et Maman, elle aussi elle est tenue dans l’ignorance parce que Papa refuse de lui en parler ? Non, bien sûr que non, c’était elle qui était réfugiée dans son déni pour ne pas regarder la réalité.

 
 by marelle  

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Sam 17 Mar - 17:27
Edward T. Seymour
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We are wasting his time
edward & calixte






L'aîné Seymour fusilla son frère du regard. Il détestait lorsque son cadet appuyait le fait qu'il avait la débauche et l'appétit sexuel d'un animal en chaleur, quand lui-même se passait bien de ce genre d'activité. Fixant ainsi son frère, une chose le frappa comme à chaque fois qu'ils se disputaient : Calixte possédait ce qui faisait défaut à Edward, Edward excellait dans des domaines qui dépassaient Calixte. Si l'on avait pu fusionner les deux en ne gardant que leurs qualités respectives, leur père aurait eu ce qu'il voulait : le parfait fils de duc prêt à endosser son rôle. Au lieu de cela, il avait un aîné renfermé, froid, de santé fragile et un cadet fougueux et incontrôlable. Parfois, Georges devait regretter qu'Alice ne puisse hériter du titre.

Edward se renfrogna, soupira et repris d'un ton plus calme pour ne pas envenimer une discussion qui ne demandait qu'une étincelle pour exploser. Il n'était pas prêt à encaisser la mort de son père. À vrai dire, Calixte était bien plus lucide que son frère à ce sujet : pour Edward, le décès de son père était une chose si absurde et surréaliste qu'elle lui semblait inenvisageable. Parce qu'il vivait dans le déni et refusait d'admettre les choses, il se prendrait inévitablement cette disparition de plein fouet lorsqu'elle surviendrait. L'insulte proférée par son frère le fit grimacer.

« N'insulte pas notre père... »

Pourtant, Edward n'en pensait pas moins. Leur père était injuste, cruel et distant avec eux. Il se comportait plus comme un général face à de jeunes recrues que comme un père aimant. Edward aimait profondément son père, mais il lui arrivait souvent de douter que la réciproque soit valable, tant Georges pouvait être strict et avare en marques d'affection. Il ne l'avait jamais vu sourire ou rire avec ses enfants qu'en présence d'Alice... comme si le fait qu'elle soit la plus jeune et la seule fille de la fratrie lui donnait le droit d'être plus doux et laxiste avec elle. Chaque fois qu'il se rendait compte de cela, Edward avait l'impression que son père cachait une blessure très profonde en lui. Était-ce le sentiment de n'avoir pas su élever un héritier digne de lui ?
Edward releva les yeux vers son frère en haussant un sourcil. Ne voyait-il donc pas que d'eux trois, Alice était la plus proche de leur père ? Celle qui passait le plus de temps au domaine ?

« Je n'ai pas dit qu'elle souffrirait plus. Simplement que la perte sera plus dure à surmonter pour elle et tu sais très bien pourquoi. »

Pouvait-on vraiment reprocher à un père d'avoir son préféré dans une fratrie ? Résigné comme il l'était, Edward aurait naturellement répondu non, mais il connaissait son frère : la jalousie, c'était sa spécialité. La crainte de ne pas être à la hauteur également. Edward sentit ses mains se crisper sur les rênes et Eden secoua la tête en guise de protestation. John Seymour, John Seymour, toujours John Seymour... Ce petit con arriviste n'avait visiblement pas encore compris que jamais, Ô grand jamais il ne verrait son nom sur la noble lignée de ducs qu'était sa famille. Il resterait à jamais cantonné à une branche cadette, excentrée, et c'était très bien comme cela. Soucieux, Edward alla jusqu'à demandé l'avis de son frère, tentant de lui prouver d'une manière bien maladroite que cet avis lui importait. Comme prévu, il s'y pris comme un manche et Calixte s'emporta, avec le mauvais caractère et l'attitude de princesse qui le caractérisait tant.

« Oh pour l'amour du ciel, Henry ! Tu me fatigues, à toujours te comporter comme une princesse capricieuse ! »

Décidément, le terme devait faire écho dans l'esprit de son frère... mais le contexte était cette fois bien différent.

« Que tu sois deuxième, troisième ou bien dixième, tu es mon frère, que ça te plaise ou non. Si ton avis ne m'importait pas, je ne prendrais pas la peine de te le demander. »

Edward n'avait pas pour habitude de faire les choses pour plaire à son prochain, et encore moins à son frère. Il n'avait certes pas fait preuve de beaucoup de délicatesse en disant cela, mais il sentait bien que le mécontentement était croissant au sein des trois familles ducales de Veilleurs. Les Percy s'entendaient de moins en moins avec les Howard, et si les Seymour n'arrivaient plus à s'exprimer d'une seule voix, ils n'auraient plus la légitimité nécessaire pour maintenir l'équilibre. Tant que Georges était en vie, l'équilibre en question était maintenu, par respect plus que par autorité. Mais lorsqu'il viendrait à disparaître... L'inadéquation des caractères d'Edward et Calixte causerait leur perte et l'aîné en avait plus que conscience. Edward savait qu'il aurait un jour une décision à prendre : parvenir à trouver un terrain d'entente avec son frère ou l'évincer purement et simplement de ses fonctions de Veilleur pour s'assurer que son autorité serait reconnue du reste de la famille. Il fallait bien admettre que parfois, voire souvent, Edward se disait qu'une telle décision ne serait pas un luxe. Si son frère pensait qu'il envisagerait un jour cette solution de gaîté de cœur, il se trompait lourdement : Edward avait beau être quotidiennement exaspéré par les frasques de son cadet, la famille et l'union était plus importante à ses yeux que leurs différents.

Seulement... allez donc dire ça à un idiot d'enfant qui pinaille sur les mots ? Allez donc dire à un Calixte arrogant et frustré qu'il doit rester à sa place tout en se préparant à être plus à l'avenir que le second ? De son piédestal d'aîné, Edward ne comprenait pas pourquoi son frère était aussi aigri et en colère. Il ne voyait pas tous les sacrifices que son frère faisait, ne voyait pas que sa situation d'ombre et de double le rendait plus malheureux qu'autre chose. Calixte avait renoncé à sa carrière de musicien, ne pouvait se marier, ne pouvait marcher sans avoir le poids d'un hypothétique titre sur les épaules. Le chemin qu'il suivait était pavé de sempiternels et détestables « si », quand celui de son frère n'était fait que de certitudes bien moins douloureuses. Mais ça, Edward était bien incapable de le comprendre. Dix ans plus tôt, il avait tenté de discuter avec Georges, tenté de lui expliquer que Calixte avait le talent et l'énergie pour devenir un grand altiste, mais comme à chaque fois que son père posait sur lui un regard sévère, Edward s'était incliné : papa avait dit que la finance serait plus adaptée, alors papa avait raison et le débat s'était arrêté là. Se tournant vers son frère, Edward laissa le silence s'installer entre eux avant d'ouvrir la bouche.

« Je ne te déteste pas. Par bien des aspects tu m'exaspères, je te trouve souvent stupide et inconscient, mais jamais je n'ai dit que je te détestais. »

Edward était connu pour être une personne directe. Sur le papier, sa réflexion aurait mérité au mieux une claque, au pire le pilori. Mais si l'on lisait entre les lignes, on pouvait entrapercevoir l'amour qui le liait à son frère et qu'il avait depuis trop longtemps oublié.

« Que veux-tu que je te dise ? Tu ne vois donc pas dans quel merdier nous sommes tous les deux ? Quand père ne sera plus là, je prendrai la suite, oui, et ensuite ? Tu crois vraiment que je vais offrir le mariage de ses rêves à Diana et que nous aurons une ribambelle d'enfants qui t'écarteront une bonne fois pour toutes de mon ombre que tu hais tant ? Ouvre les yeux, Henry... ce n'est plus mon existence ni la mort imminente de père qui t'enchaînent, c'est ce foutu mariage. »

Lorsqu'il y réfléchi, Edward se rendit compte que c'était la première fois qu'il faisait part à son frère de son malaise quant à l'alliance conclue entre les Howard et les Seymour. Lorsque Georges avait annoncé à son aîné qu'il l'avait fiancé, Edward n'avait pu s'empêcher d'espérer qu'Helena serait sa promise. Elle avait été une amie très proche, ses premiers sentiments envers une fille et ce malgré sa descente aux enfers. Pourtant, Diana restait un meilleur choix que Sixtine : elle et Edward s'appréciaient suffisamment pour ne pas avoir envie de s'étriper en permanence. Si Georges avait annoncé à Edward qu'il comptait le marier à Sixtine, le jeune homme aurait probablement éclaté de rire avant de s'exiler loin d'Angleterre. Alors que Calixte s'y prépare, car il n'était pas prêt d'être délivré de son statut de roue de secours.

La conversation repris, Edward annonça à son frère qu'il ne pourrait pas voir les résultats médicaux de leur père et, comme il aurait dû s'y attendre, les jurons fusèrent. Grimaçant, Edward jeta un regard froid à son cadet.

« Arrête de l'insulter, bon sang ! Fais preuve d'un peu de respect, au moins une fois dans ta vie ! »

Sortant son téléphone de la poche de sa veste, Edward le tendit à son frère en lui lançant un regard las. Si la remarque de Calixte était plus amusante que méchante, l'aîné n'était clairement pas d'humeur à rire. Quelques rabats-joie auraient sûrement ajouté qu'il n'était jamais d'humeur à cela. Il tenta plutôt d'expliquer les choses à son frère, du moins jusqu'à ce que celui ne le coupe, le poussant à lever les yeux au ciel.

« En même temps, tu ne m'aides pas vraiment à te voir comme autre chose qu'un âne. »

Laissant Calixte observer les clichés, Edward tiqua de nouveau et s'énerva.

« C'est bon, tu as fini ? Tu ne sais donc pas t'exprimer autrement qu'en crachant des putain et des salaud tous les deux mots ? Si tu veux que père cesse de te prendre pour un enfant, commence déjà par le respecter. »

Qu'il aurait aimé pouvoir se défaire de cette attitude d'enfant sage défendant son père, qu'il aurait aimé pouvoir se lâcher et insulter celui qui, par bien des aspects, avait ruiné sa vie et celle de son père. Qu'il aurait aimé avoir l'assurance de Calixte pour cracher ce qu'il avait sur le cœur de la manière la plus vulgaire et salvatrice qui soit.

« Le secret médical, tu connais ? J'ai une autorisation signée de la main de père et de son avocat pour pouvoir entrer en contact avec son oncologue. Sans ça, je ne devrais même pas connaître son nom. Écoute, Cal... je sais que tu te fais du souci. Mais si tu commences à outrepasser les volontés de père ou la loi, tu vas te tirer une balle dans le pied. »

Dans le ciel, un amas de nuages menaçant vinrent masquer le soleil hivernal, plongeant le sentier sur lequel ils se trouvaient dans la pénombre. Instinctivement, Edward tira légèrement sur les rênes d'Eden pour se diriger vers un sentier annexe qui débouchait sur une clairière et non le sous-bois. L'heure n'était définitivement pas à la raillerie ni à la provocation.

« C'est une opération très lourde. Il m'a parlé de retirer un maximum de tumeurs, de nettoyer les organes infectés et d'enchaîner sur une nouvelle chimiothérapie. Mais c'est risqué. Père peut très bien rester sur la table d'opération et ne jamais se réveiller. Pour faire simple, imagine une corde lisse : c'est facile d'en couper un morceau et de rassembler ce qui reste. Imagine maintenant une corde criblée de nœuds. Couper sera compliqué, raccommoder sera presque impossible. La corde lisse, c'est ton organisme, celle à nœuds c'est celui de père. L'oncologue n'est même pas certain de pouvoir mener l'opération à terme. »

Et ça le tuait de dire ça. Ça le tuait à petit feu car il refusait toujours d'admettre sur son père allait mourir. Il baissa alors les yeux sur le sentier pour ne pas avoir à affronter le regard de son frère.

« Sans l'opération, il lui donne 6 mois, peut-être 8. Avec l'opération... ça peut-être trois semaines comme un an. Je... je t'avoue que j'y ai songé. Au mutant. Ce serait tellement plus simple d'en avoir un sous la main pour qu'il soigne père mais... mais c'est contre nature. »

Ce n'était pas l'exploitation d'un autre individu ni l'utilisation d'une mutation sur son père qui gênait le plus Edward, c'était surtout le fait que mutation sonnait avec anormalité pour lui. En user sur une autre personne, c'était aller à l'encontre de la nature même des choses.

Lorsqu'ils débouchèrent enfin sur la clairière, Edward descendit de cheval, coinça les rênes sur une branche basse et laissa Eden paître tranquillement. L'air était frais mais les nuages s'étaient dispersés, laissant place à un beau soleil qui lui réchauffa le visage lorsqu'il leva la tête.

« Pour mère, c'est un peu différent. Elle a dès le départ refusé d'être tenue au courant de quoi que ce soit. Elle veut bien lui donner ses médicaments et veiller sur lui, mais elle refuse de connaître les détails ou de savoir combien de temps il lui reste à vivre. »

Songeur, Edward alla s'asseoir non loin d'Eden, sur une vieille souche d'arbre.

« En fait... il y a légalement une piste que l'on pourrait exploiter pour nous tenir au courant et gérer l'état de santé de père, mais... il nous en voudra jusqu'à la fin de ses jours. »

Très sérieux, Edward leva les yeux vers son frère. Il ne l'aimait pas cette idée, mais il était persuadé d'y être contraint par un père trop secret. Il refusait par ailleurs de s'engager sur cette voie si Calixte lui confirmait qu'il était complètement fou d'avoir pensé à une telle alternative.

« Si nous arrivons à prouver devant un tribunal que dans son état, père n'est plus vraiment maître de ses décisions, nous pouvons le mettre sous tutelle et le représenter. Mais tu sais comment il est. Ça reviendra à le mettre dans un cercueil avant l'heure. »

Edward soupira. D'un point de vue pragmatique et dépourvu d'émotions, l'idée n'était pas si bête. Mais si l'on ajoutait le respect qu'ils éprouvaient tous les deux à l'égard de leur père dans l'équation, cela revenait à de la trahison pure et simple.

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Sam 31 Mar - 15:15
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   edward & calixte
 
 
 
Calixte ne souffrait pas d’un quelconque complexe d’infériorité vis-à-vis de son grand-frère contrairement à ce que certains pouvaient penser. Non, il n’enviait rien de ce qui les différenciait d’un point de vue caractère, et même si parfois, il songeait qu’il eut été bien agréable de savoir se détacher de ses émotions avec la même facilité d’Edward semblait le faire, le cadet Seymour aimait ressentir tout avec une force désarmante, il aimait son impulsivité, il aimait son exubérance, il aimait son extraversion et plus encore, il aimait ses sourires éclatants, son regard expressif et cette manie qu’il avait de rire avec facilité. Non, Calixte ne souffrait d’aucun complexe d’infériorité mais bien d’un complexe d’égalité, si l’expression se tenait, voire de supériorité. Il était trop égal, voire supérieur, à Edward, et cela le rongeait de contempler que malgré cette égalité, son frère avait tout, hériterait de tout, et lui de bien peu de choses en comparaison. Et d’aucun titre en compensation. Ce qu’il enviait le plus à Edward ne tenait, finalement, qu’à fort peu de choses: ces trois petites années - même moins ! deux et demi - qui les séparaient et que Calixte ne pourrait jamais effacer. Ni diminuer. Il était le cadet, Edward l’aîné. Et c’était tout, fin de l’histoire, on ne pouvait pas changer la donne. Plus maintenant. Les dés avaient été tirés il y avait de cela près de trente, trente-deux ans, et même s’ils avaient été pipés, Calixte ne pouvait plus vraiment porter réclamation. Alors non, Calixte ne souffrait d’aucun complexe d’infériorité, mais d’un véritable complexe de… ponctualité ? D’absence de ponctualité ? De retard, de trop tard. Et on ne parlait pas de retard intellectuel, merci bien. Et s’il ne trouvait de point où surclasser son frère que dans des domaines comme le sexe ou l’alcool, ce n’était en rien dévalorisant, Calixte en était certain. La preuve, autre domaine où Edward ne tenait guère la comparaison : la musique et l’art se déployaient aux yeux du cadet comme un monde de liberté aux règles évidentes et permissives, et aux frontières inconnues, quand ils ne semblaient pour l’aîné n’être qu’un univers empreint de limites, de bordures carrées, régentées par une technique qui ne suffisait pas. Alors non, vraiment non, aucun complexe d’infériorité ne venait troubler Calixte, de cela il en était certain. Alors pourquoi ce malaise ? Calixte le chassa de ses pensées pour ne plus s’interroger, parce que de toute manière, bien d’autres sujets gagnaient en importance et nécessitaient son intérêt.

Et sa colère. L’état de Papa, douloureusement voué à se dégrader, en était un. Et qu’il refusait de communiquer sur son état de santé, sur l’avancée de la maladie, sur l’avenir même, rendait Calixte fou de rage et de détresse. A dire vrai, la seule idée d’être tenu dans l’ombre lui était insupportable : il avait décidément une terreur absolue de l’obscurité, autant littéralement que métaphoriquement. Ne pas savoir, être aveugle quant aux prochains mois, quant à leurs perspectives d’avenir… Calixte ne le supportait pas. En son for intérieur, il était encore ce petit qui hurlait à la mort lorsqu’on l’enfermait dans une pièce sans lumière : qui hurlait de terreur et de colère face à l’injustice de la situation. Et en l’occurrence, oui, Papa était injuste. Injuste de les maintenir dans l’ignorance. Et Calixte ne regretta pas un seul instant les insultes qui lui échappèrent, ne regretta que d’être incapable de les asséner à Papa de vive voix. « N'insulte pas notre père... » Le regard noir que lui offrit Calixte fut éloquent : il l’insultait s’il le voulait. Et si Edward pensait que son avis avait de la valeur aux yeux de son cadet, il se trompait grandement.

La colère de Calixte allait croissant. Loin de la calmer, la discussion qu’ils avaient, avec Edward, la renforçait à chaque seconde un peu plus, la faisant serpenter cruellement entre la tristesse, l’abattement et la fureur la plus brûlante. Et ce sentiment d’injustice qui refusait de s’éteindre alimenté par la moindre remarque qui titillait la susceptibilité du Seymour. Non, Alice ne serait pas la plus affectée, parce qu’il allait l’être, Calixte, malgré tout ce qu’il disait. il allait être affecté, il l’était déjà, il le sentait même s’il le cachait derrière des insultes, il ne le cachait pas si bien que ça d’ailleurs. Mais… « Je n'ai pas dit qu'elle souffrirait plus. Simplement que la perte sera plus dure à surmonter pour elle et tu sais très bien pourquoi. » Le petit frère contracta la mâchoire, joua à l’idiot en maugréant un Non, je ne sais pas pourquoi. suintant la mauvaise foi. Il ne voulait pas voir qu’Alice était la préférée de Papa, pour la simple raison que si Edward s’octroyait la place du digne héritier et Alice celle de l’enfant merveilleuse, qui était il, lui, Calixte, dans l’affaire ? Juste le cadet un peu trop encombrant, pas assez bien pour hériter, mais juste assez pour faire une doublure potable. Ses poings se serrèrent, Aboukir sentit sa nervosité, en bon cheval monté par un pas si bon que cela cavalier. Et l’obscurité croissante, accentuée par les arbres et les nuages, n’arrangeaient en rien les choses.

Comment donc, tenant compte de cela, pouvait-on s’étonner de la mauvaise humeur de Calixte, de sa susceptibilité et de cette façon qu’il avait de ressasser le moindre mot, les moindres faux pas de son frère ? Parce qu’Edward en faisait, naturellement. Trop, pour que Calixte puisse passer outre. Papa venait tout juste de lui faire comprendre qu’il avait honte, plus honte que jamais de son cadet, et voilà qu’Edward l’enfermait à nouveau et malgré tout dans cette prison que sa place de naissance lui imposait ? Et il voulait après ça, que Calixte considérait comme une trahison, avoir l’avis de ce dernier ? Pour ce que son avis importait, très sincèrement, il n’avait clairement pas son mot à dire. « Oh pour l'amour du ciel, Henry ! Tu me fatigues, à toujours te comporter comme une princesse capricieuse ! » Mais ta gueule, Edward… Des deux, le plus fatigué était sans nul doute le plus jeune à cet instant. Fatigué au point de ne pouvoir répondre autre chose que cela à son aîné. Edward n’était pas le premier et ne serait certainement pas le dernier à le traiter de princesse, il entendait malheureusement depuis bien trop d’année ce genre de remarques, mais le rictus que fit Calixte ne laissa aucun doute à la manière dont il reçut la critique : mal. « Que tu sois deuxième, troisième ou bien dixième, tu es mon frère, que ça te plaise ou non. Si ton avis ne m'importait pas, je ne prendrais pas la peine de te le demander. » Un regard mauvais réceptionna ces derniers mots, un regard mauvais et un nouveau grognement, articulé toutefois avec un accent aristocrate bien marqué : Et bien épargne toi cette peine…, un grognement vexé. Consumé par la mauvaise foi, la colère et tout simplement son mauvais caractère. Bien sûr qu’au fond, Calixte était flatté qu’Edward se soucie de son opinion - à moins qu’il ne la lui ait demandée que pour ne surtout pas aller dans son sens ? -, bien sûr qu’au fond, le petit frère ne demandait qu’à être mêlé à tout ceci, mais à cet instant, il n’était pas suffisamment imprégné de calme et d’humilité pour en tenir compte.

A cet instant, tout ce ce dont Calixte avait conscience, c’était de son petit coeur et de son petit ego meurtri, de sa détresse et de son angoisse, de la colère et de la douleur. Tout le reste, tout le reste lui importait peu, au juste, ce que fussent les actes de paix que posait Edward ou même les propres émotions de son frère. Aux dernières nouvelles, de toute manière, Edward le haïssait, proprement et poliment, et Calixte lui rendait proprement et poliment la pareille, sans rechigner et chacun avait ses raisons. Peut-être justifiées. Un silence se glissa entre eux, après que Calixte eut rappelé ce qui lui semblait être une évidence. D’un froncement de sourcils, il lança un regard vers son frère : qu’attendait-il pour confirmer ? « Je ne te déteste pas. Par bien des aspects tu m'exaspères, je te trouve souvent stupide et inconscient, mais jamais je n'ai dit que je te détestais. » Il leva les yeux au ciel. Je n’ai pas dit que tu me détestais, mais que tu me haïssais. Et tu n’as pas besoin de me le dire, chaton, tu sais me le faire sentir. De la même manière que Papa savait le faire comprendre. Au fond, Calixte se sentait pas stupide, ne se pensait pas stupide et surtout était convaincu de sa lucidité : si les Seymour avaient pu se débarrasser d’un de leurs enfants, leur choix aurait été tout trouvé. Mais soit. Il se força à détendre ses épaules, comme pour montrer qu’au final, ça ne l’affectait pas plus que cela.

Et fichtre que Calixte avait des talents de comédie, d’hypocrisie et de faux-semblants à la hauteur de son exubérance. « Que veux-tu que je te dise ? Tu ne vois donc pas dans quel merdier nous sommes tous les deux ? Quand père ne sera plus là, je prendrai la suite, oui, et ensuite ? Tu crois vraiment que je vais offrir le mariage de ses rêves à Diana et que nous aurons une ribambelle d'enfants qui t'écarteront une bonne fois pour toutes de mon ombre que tu hais tant ? Ouvre les yeux, Henry... ce n'est plus mon existence ni la mort imminente de père qui t'enchaînent, c'est ce foutu mariage. » Non, ce mariage ne l’enchaînait en rien. Les chaînes qui avaient été posées sur son avenir, elles étaient forgées des convictions paternels, de ce besoin pathologique d’avoir un héritier. Et elles s’étaient resserrées quand Calixte avait eu l’idée saugrenue de composer sa vie comme il le souhaitait. C’est faux, et tu le sais. Ton mariage, c’est ton problème. Le seul qu’il enchaîne, c’est toi. Moi, je suis l’esclave de ton existence, des attentes de Papa, de ce suspense insoutenable que nous impose une succession mortifère. Je ne serai libre du duché que lorsque ton fils sera majeur, et à ce moment-là, il sera trop tard pour moi pour avoir une vie. Et ce n’était pas peu dire : Calixte se demandait souvent quand il aurait le droit d’avoir des enfants, de se marier… D’une certaine manière, oui, il était enchaîné au mariage en attente de son frère, mais ce n’était qu’un maillon. Aux yeux de Papa, aux yeux des Veilleurs, il ne fallait qu’il n’y ait qu’un héritier, un héritier auquel on pouvait se fier. Et c’était bien évidemment loin d’être le cas actuellement, il suffisait pour s’en apercevoir de prêter l’oreille aux déblatérations de John. Le mariage d’Edward n’était qu’un maillon, perdu entre le sens du devoir de Calixte, son envie et sa jalousie, l’obsession de Papa, sa place de cadet, son incapacité à regarder Papa droit dans les yeux et à faire passer sa liberté avant sa famille.

Il le savait depuis longtemps, Calixte, que l’une des chaînes qui l’enserrait et l’étouffait le plus, c’était sa lâcheté - ou sa loyauté ? - qui l’empêchait de tourner le dos aux Seymour, aux Veilleurs, à son héritage et au confort d’une famille protectrice et omniprésente. Mais cela, il était incapable de se l’avouer vraiment. Et il n’avait même pas envie d’en discuter avec Edward. Il n’avait même pas envie de discuter de tout cela : sa voix avait même perdu sur la fin de son animosité pour faire ressortir sa lassitude. Et sa résignation.

Tout cela était vain, de toute manière, à insulter Papa de cette manière, à en vouloir à Edward, à pleurnicher sur son sort et à faire sa princesse capricieuse, il ne faisait au final que brasser du vent sans esquisser le moindre mouvement pour réellement avancer. Calixte ne savait plus où il en était, plus ce qu’il voulait dire, il oscillait entre l’envie de se battre avec Edward et de le supplier de lui dévoiler des bribes de vérité, il était en équilibre entre la colère sourde et la tristesse enfantine lorsqu’il songeait à la santé de Papa, revenue au coeur de leur conversation, puisqu’elle était déjà de toute manière au coeur de leur venue à tous les deux au manoir. « Arrête de l'insulter, bon sang ! Fais preuve d'un peu de respect, au moins une fois dans ta vie ! » Non, il n’allait pas arrêter de l’insulter, parce qu’il ne voyait même pas exactement pour quelle raison il respecterait Papa, à cet instant. A bien y regarder, d’ailleurs, Papa l’insultait bien, lui, donc pourquoi la réciproque ne pourrait-elle pas être ? Surtout que Papa ne l’aidait pas, à cacher son dossier, à se terrer derrière un déni qui n’avait d’égal qu’en sa cruauté. Calixte inspira. Il ne comprenait pas - ne voulait pas comprendre - ce que lui disait Edward. Au terme tumeur, il avait cessé d’écouter, parce que le simple fait d’entendre lui était douloureux. Papa se mourrait, réellement. « En même temps, tu ne m'aides pas vraiment à te voir comme autre chose qu'un âne. » Tant que tu ne me voies pas comme un porc., il regarda les clichés. Pesta à nouveau. Insulta, encore, Papa pour ses silences, sa maladie, son orgueil qu’il avait transmis à ses fils. « C'est bon, tu as fini ? Tu ne sais donc pas t'exprimer autrement qu'en crachant des putain et des salaud tous les deux mots ? Si tu veux que père cesse de te prendre pour un enfant, commence déjà par le respecter. » Calixte détacha ses yeux du portable, cracha au passage que Il ne me respecte pas, j’ignore pourquoi je devrais le respecter avant d’exiger - parce que pour exiger, Calixte était particulièrement doué - d’obtenir les coordonnées de l’un des hommes qui avait la vie de Papa entre ses mains.

« Le secret médical, tu connais ? J'ai une autorisation signée de la main de père et de son avocat pour pouvoir entrer en contact avec son oncologue. Sans ça, je ne devrais même pas connaître son nom. Écoute, Cal... je sais que tu te fais du souci. Mais si tu commences à outrepasser les volontés de père ou la loi, tu vas te tirer une balle dans le pied. » Cal. Un coup de poing dans son estomac : toute la colère de Calixte disparut, une nouvelle fois, s’évapora devant ce surnom que beaucoup lui donnaient, mais jamais Edward. Cal. Mais… Un tremblement, Aboukir s’agita sous la nervosité de Calixte, nervosité qui s’amassa brutalement quand des nuages obscurcirent davantage le ciel, achevant de déstabiliser le peureux. Calixte ferma les yeux, inspira pour garder le contrôle de sa terreur, se retint d’intimer Aboukir à faire demi-tour. Ne se détendit que lorsqu’il posa ses yeux sur la clairière sur laquelle s’ouvrait le sentier, où il allait enfin pouvoir respirer plus facilement. Edward reprit. Calixte se força à écouter. Attentivement. « C'est une opération très lourde. Il m'a parlé de retirer un maximum de tumeurs, de nettoyer les organes infectés et d'enchaîner sur une nouvelle chimiothérapie. Mais c'est risqué. Père peut très bien rester sur la table d'opération et ne jamais se réveiller. Pour faire simple, imagine une corde lisse : c'est facile d'en couper un morceau et de rassembler ce qui reste. Imagine maintenant une corde criblée de nœuds. Couper sera compliqué, raccommoder sera presque impossible. La corde lisse, c'est ton organisme, celle à nœuds c'est celui de père. L'oncologue n'est même pas certain de pouvoir mener l'opération à terme. »

Calixte prit le temps de comprendre. Visualisa la corde, tenta par tous les moyens de la lisser. Ne pouvait-on pas simplement dénouer les noeuds, sans rien couper ? « Sans l'opération, il lui donne 6 mois, peut-être 8. Avec l'opération... ça peut-être trois semaines comme un an. Je... je t'avoue que j'y ai songé. Au mutant. Ce serait tellement plus simple d'en avoir un sous la main pour qu'il soigne père mais... mais c'est contre nature. » A cet instant, l’enfant qu’était Calixte et qui ne voulait pas perdre Papa s’en ficha du contre-nature et voulut le hurler à Edward, mais l’adulte, lui, garda le contrôle. Et le silence. Six mois, huit… trois semaines, un an. Calixte serait orphelin de père à trente-et-un ans. Il eut envie de vomir à cette pensée, ne se fit pas prier pour descendre d’Aboukir lorsque la clairière les entoura enfin, libéra son cheval. Et réceptionna Eddie qui se jeta sur lui en quelques bonds digne d’un jeune chiot. Calixte avait envie de vomir, une nausée persistante. D’autant plus qu’Edward n’en avait pas fini : il lui restait une question de son frère à traiter. Maman.

« Pour mère, c'est un peu différent. Elle a dès le départ refusé d'être tenue au courant de quoi que ce soit. Elle veut bien lui donner ses médicaments et veiller sur lui, mais elle refuse de connaître les détails ou de savoir combien de temps il lui reste à vivre. » Du coin de l’oeil, Calixte le vit s’asseoir, s’obstina à lui tourner le dos lorsqu’il ramassa une branche, envoyée au loin. Eddie se précipita pour l’attraper. Revint fier comme un paon, repartit. « En fait... il y a légalement une piste que l'on pourrait exploiter pour nous tenir au courant et gérer l'état de santé de père, mais... il nous en voudra jusqu'à la fin de ses jours. » Lentement, Calixte se tourna vers l’autre Eddie, plus calme indéniablement que le poitevin. Quoi ? Quelle solution, quelle piste envisageait-il ?

« Si nous arrivons à prouver devant un tribunal que dans son état, père n'est plus vraiment maître de ses décisions, nous pouvons le mettre sous tutelle et le représenter. Mais tu sais comment il est. Ça reviendra à le mettre dans un cercueil avant l'heure. » Calixte resta immobile, impassible, inexpressif une poignée de secondes. Avant d’éclater de rire, d’un rire sans joie, d’un rire nerveux. D’un rire qui ne tarda pas à s’éteindre, aussi soudain que succinct. Ça le tuera. Et de cela, il en était bien évidemment certain. Ça le tuera, Maman ne s’en remettra pas. Le mettre sous tutelle serait le plus intelligent pour avoir tout contrôle sur sa santé, ses soins, mais ça le tuera, Edward, tu le sais aussi bien que moi. Et ce ne sera pas la honte qui le tuera, ce sera ta trahison. Tu n’as pas le droit de lui infliger ça. Oui, la loyauté de Calixte était la chaîne la plus serrée autour de son cou, une chaîne qui l’asphyxiait, l’étouffait, dirigeait chaque pan de sa vie. Il était loyal aux Veilleurs, loyal aux Seymour, loyal à Papa. Son cadet lui fait déjà honte, et tu proposes que même son aîné lui tourne le dos ? J’ai envie de dire oui, fais-le parce que si tu le fais, il te déshéritera instantanément, mais ce serait notre ruine. Nous devons nous plier à son petit jeu stupide, ou le convaincre d’ouvrir les yeux sur la vanité de son attitude, mais lui planter un couteau dans le coeur…, et le coeur de Calixte se serra à ces mots, Nous ne nous en relèverions pas. Sincérité désarmante se faisait l’arme du cadet. Ca m’écoeure de le dire, Ed’, mais il a besoin que tu sois aussi parfait, aussi irréprochable que tu l’as toujours été. Il a besoin de savoir que les Seymour perdureront. Il a besoin de ton foutu mariage avec Diana, il a besoin que tu prennes la direction des veilleurs, il a besoin que tu sois son petit héritier parfait. De toute manière, faut être lucide. Tu le représentes déjà aux endroits nécessaires, et je parle déjà en ton nom. Tu veux un conseil ? Impose toi, Edward. Ne te terre pas comme un lâche, impose toi en tant que futur duc, impose toi, ne le trahis pas mais mets-le au pied du mur. Peut-être est-ce tout ce qu’il attend de toi. Tu ne peux pas rester dans son ombre plus longtemps. Exige des informations, tiens lui tête… Calixte s’agitait, colère bouillonnante, comme toujours. Tu as cette foutue légitimité à ses yeux qui me manque pour t’imposer, tu es l’aîné, putain, comporte toi comme tel ! Je n’ai limite pas le droit à la parole devant lui, alors que toi, oui, profite-en au lieu de ne voir que des solutions détournées. L’une des solutions, pour toi, c’est de lui couper toute possibilité en prenant en main sa voix et ses pouvoirs ? Et bien fais-le avec honneur. Tu n’es pas qu’un vulgaire cadet, tu es le futur duc de Somerset, Edward, COMPORTE TOI COMME TEL !

Brûlante envie, brûlante jalousie de savoir exactement comment il aurait agi si les rôles, si leurs rôles avaient été inversés. Si Calixte avait eu ne serait-ce qu’une petite minute de plus qu’Edward, il se serait emparé du pouvoir, il aurait forcé Papa à le considérer comme un égal, comme son avenir, il l’aurait forcé à regarder ses responsabilités, à ne pas se voiler la face, à ne pas se laisser malmener par son ego. Oui, Calixte était certain qu’il aurait pu changer la donne en étant le baron Seymour. Mais non, c’était Edward, et Edward n’avait ni les épaules pour, ni la détermination pour, de toute évidence. Et c’était écoeurant de voir ça. Et de se sentir impuissant.

 
 by marelle  

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Mar 3 Avr - 21:56
Edward T. Seymour
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We are wasting his time
edward & calixte






Il était toujours intéressant de constater à quel point Edward et Calixte pouvaient être semblables et différents à la fois. Élevé dans le cocon aseptisé et rigide de l'aristocratie britannique, ils avaient appris que la politesse avait plus de valeur que n'importe quoi d'autre, que défendre l'honneur de leur famille se ferait au péril de leur vie, que le thé se prenait à l'heure et jamais en retard, et ils cultivaient tous deux une préciosité un peu vieux jeu. L'accent hautain était naturel, ils aimaient qu'on leur serve une nourriture raffinée dans de la porcelaine fine et ne faisaient confiance qu'à leur tailleur pour les habiller. Alors oui, sur leur tenue et sur une vision du monde bien précise, ils étaient semblables. Seulement, ils étaient aussi identiques sur tout ce qui les différenciait car ils jalousaient profondément ce qui rendait l'un différent de l'autre. Edward jalousait l'aisance de Calixte en public, lui enviait ses sourires sincères, ses rires francs et l'amabilité dont il savait se parer en toutes situations. De son côté, Edward était renfermé, calme, en retrait et s'il restait toujours impeccablement courtois et poli, il détestait prendre la parole en public en dehors d'un tribunal. Seulement, Edward était bien plus désintéressé que son frère. Parce qu'il savait que le titre lui reviendrait, il n'éprouvait pas le besoin de l'envier à qui que ce soit et, avec le recul, s'en serait volontiers passé pour avoir un peu plus de liberté. Il était persuadé que devenir Duc ne ferait pas de lui quelqu'un de meilleur ou de pire, simplement un aristocrate orphelin avec un titre et ça, ce n'était pas franchement ce qui lui donnait le sourire le matin. Edward avait bien conscience que contrairement à son frère, il n'avait rien à prouver. Son statut d'aîné lui conférait d'office des avantages qu'il était le seul à avoir et, parce qu'il s'était toujours sagement coulé dans le moule dessiné par son père, il n'avait jamais eu besoin de répéter en boucle qu'il était fils de Duc et tout un baratin qui le fatiguait plus qu'autre chose. En public, il savait être arrogant, fier, fidèle défenseur des valeurs familiales auxquelles son père attachaient tant d'importance mais dans le secret de son appartement vide et impersonnel, il se demandait régulièrement à quoi tout cela rimait. Oserait-il, une fois son père parti, faire du reste de sa vie ce qu'il entendait ? Aurait-il le courage de dorer différemment le blason de Seymour ? Edward n'était pas son père et ne le serait d'ailleurs jamais, il en était conscient. Ce simple fait rendait l'obsession de George ridicule mais ça, Edward se gardait bien de le lui dire. Il gardait le silence, comme à son habitude, et se contentait d'acquiescer en serrant les dents. Au fond, Edward ne souhaitait rien de plus qu'un peu d'indépendance qu'il chérirait tant elle se faisait rare.

C'est plongé dans ce mutisme qu'il écouta les revendications de son frère, bien plus expressif que lui. Il fallait bien avouer qu'Edward était loin d'apprécier le comportement qu'il aurait qualifié de totalement puéril de son cadet. Cette façon de pleurnicher, d'insulter leur père, de refuser de répondre parce que son vilain grand frère n'était pas assez gentil avec lui… s'ils n'avaient pas été sur leurs chevaux, Edward lui aurait mis une tape à l'arrière du crâne. Pourtant, lorsque Calixte l'appela chaton, le coup faillit bien partir.

« Garde ce genre de surnom pour les traînées qui se vautrent dans ton lit, tu veux ? Si je te haïssais, crois-moi, tu le sentirais passer. Je me contente la plupart du temps de t'ignorer, c'est bien moins fatigant. »

Et par bien des aspects plus cruel. Edward avait longtemps défendu son petit frère, avait pris à cœur ses revendications et s'était soucié de son bien-être. Et puis il était tombé malade, avait craint de décevoir son père, Calixte était entré un peu plus tard dans l'adolescence et tout s'était fracturé. D'une fraternité d'enfance soudée, il ne restait plus que des ruines, des bribes, des miettes qu'ils prenaient soin de piétiner à chacune de leur rencontre. Alors non, Edward ne détestait pas son frère. Il s'en était juste assez éloigné pour ne plus le considérer que comme un étranger particulièrement agaçant. D'un autre côté, il ne pouvait s'étonner qu'en réponse, Calixte réagisse excessivement et face preuve d'aussi peu de compassion. Après tout, il aurait dû s'y attendre, non ? Le regard surpris d'Edward se transforma en un rictus alors que Calixte lui crachait au visage qu'encore et toujours, il était le plus à plaindre dans l'histoire. Décidément, le terme princesse était peut-être encore trop tendre pour lui

« Mon seul problème, tu dis ? Un problème a, par essence, une solution. Or, la solution en question n'existe pas car à moins que Diana ne meure dans les mois à venir, ce que je ne lui souhaite pas, je lui suis enchaîné. Ce problème, comme tu dis, n'a pas de solution. Mais je suis ravi de voir que mon existence nuit toujours autant au rayonnement de ta suffisance. Si je te suis si insupportable, qu'attends-tu donc pour me pousser dans un escalier ? Ose me dire que tu n'y as pas déjà songé, petit frère… »

Le terme, qui aurait pu être affectueux dans la bouche d'un autre, avait été craché avec dédain et mesquinerie. Chaque fois que Calixte vexait son frère, celui-ci ne trouvait d'autre parade que la méchanceté gratuite pour répliquer. Il aurait simplement aimé que quelqu'un lui dise enfin que cette histoire de mariage arrangée était un grand n'importe quoi mais visiblement, il ne trouverait pas cette personne parmi ses proches. Il fallait croire que ce genre d'arrangement était bien trop ancré dans la culture des aristocrates.

La conversation se poursuivit, alternant des phases où ils étaient d'accord avec d'autres, plus houleuses, où ils en venaient presque aux insultes. C'était ça depuis près de dix ans, entre Edward et Calixte. Des disputes, des querelles, des désaccords croissant qui ne cessaient de les éloigner l'un de l'autre. Un jour viendrait où leur relation ne serait plus seulement en ruines mais bel et bien inexistante et ce jour-là, il n'y aurait malheureusement plus rien à arranger. Il n'y aurait plus que le souvenir de vestiges sur lesquels pleurer, de regrets à blâmer mais il n'y aurait plus rien à construire. Au fond de lui, Edward appréhendait autant qu'il attendait ce moment. Il craignait de n'être pas capable d'assumer sa fonction sans son frère mais restait également persuadé qu'en détruisant leur lien, il n'aurait plus jamais à se faire de souci pour lui. Pourtant, Edward s'ouvrait et se confiait à son frère plus facilement qu'avec n'importe qui d'autre. Calixte le connaissait mieux que personne et s'ils avaient pu mettre de côté leurs différents, ils auraient été invincibles, indivisibles, comme les deux faces d'une même pièce.

Cal. Il avait même laissé échapper le surnom que tant de gens donnaient à son frère naturellement et qu'Edward s'obstinait à ne jamais employer. L'appeler Henry, c'était lui rappeler sans cesse d'où il venait, à qui il était enchaîné et, il fallait bien l'admettre, c'était avant tout pour l'emmerder. Mais lâcher un « Cal » qui avait été instinctif et non prémédité était une chose à laquelle ni lui ni son frère n'aurait pu s'attendre. Edward était perdu, désespérément perdu, il avait l'impression que tout lui échappait, irrémédiablement. Las, il s'était assit sur une souche d'arbre pour poursuivre cette conversation qui prenait une direction des plus dramatiques. Edward vida son sac, donna toutes les explications à son frère et ne s'arrêta que lorsqu'il lui eut exposé ce qui lui semblait être la meilleure solution possible à leur problème mais aussi la plus grande des trahisons. Il s'attendait à tout, à ce que Calixte reste interdit, à ce qu'il le traite d'imbécile, à ce qu'il le frappe, mais lorsqu'il l'entendit rire, Edward releva les yeux en fronça les sourcils. Son frère était-il réellement en train de se moquer de lui ? Pourtant, la première remarque de Calixte arracha un frisson d'angoisse à son aîné. Ça le tuera, venait-il de dire, et il avait raison. Edward baissa les yeux, serra les poings et laissa Calixte parler.

« Je sais... je sais tout ça. Mais c'est la seule voie légale que nous ayons... »

La seule qui ne le force pas à se redresser face à son père, la seule qui n'implique pas qu'il lui tienne tête... la seule qui soit assez fourbe et lâche pour ne pas lui ressembler. Alors Edward se tut, fit face au monologue de son frère et redressa la tête vers lui. La plupart du temps, il trouvait Calixte puéril, capricieux et superficiel. Mais Calixte était aussi loyal et habité d'un puissant devoir envers sa famille. C'était peut-être même celui qui, paradoxalement quand on voyait les couvertures des magazines sur lesquelles ils apparaissait, s'appliquait le plus à minutieusement astiquer le blason de la famille Seymour. Calixte hurlait beaucoup mais il savait où était sa place et à cet instant, il n'aurait pas pu mieux l'occuper. Seulement, au moment où il lui parla de cesser d'être lâche, Edward se leva et s'éloigna de quelques pas.

Il avait besoin de respirer, de se recentrer sur lui-même... et sorti un paquet de cigarettes et un briquet de sa poche pour pallier à l'envie irrépressible de nicotine qui le faisait trembler. Lorsque l'épaisse fumée blanche se répandit dans ses poumons, il sentit ses muscles se dénouer et son cœur ralentir mais son cerveau continuait à fonctionner à vive allure alors que Calixte semblait inarrêtable. Impose-toi, lui disait-il, tiens-lui tête, exige... Edward n'avait pas pour habitude de faire cela avec son père. À vrai dire, il ne lui avait désobéit qu'une seule et unique fois : quand George avait refermé la porte sur Calixte en le forçant à dormir dehors pour affronter sa peur du noir. C'était la première et la dernière fois qu'Edward avait osé dire non à son père. Les mots de Calixte s'imprimait dans son esprit à la manière d'un fer chauffé à blanc que l'on aurait appliqué sur la peau, il résonnait dans son esprit sans parvenir pour autant à le raisonner. Aussi, lorsqu'il hurla pour mettre fin à un discours qui aurait dû gonfler Edward à bloc et lui donner le courage d'aller affronter son père, le silence se fit. Comme lorsqu'il était avec Rosamund, Edward sentit cette petite voix timide dans son esprit qui tenta de le pousser vers son frère, de l'inciter à le prendre dans ses bras pour le remercier d'avoir été si franc mais comme toujours, cette petite voix était trop faible, écrasée par le poids de ses années de servitude. Il faut des mois, peut-être des années pour qu'Edward se décide enfin à tendre l'oreille vers cet aspect de lui-même qui était bien moins antipathique que celui qu'il présentait habituellement.

Edward pris le temps de terminer sa cigarette, en frotta le filtre contre une pierre pour s'assurer qu'elle était éteinte et la glissa dans un mouchoir en papier pour pouvoir la jeter en rentrant au domaine. Il avait fait tout cela calmement, silencieusement, tout simplement parce qu'il ne savait pas quoi répondre à son frère. Alors, dans un élan soudain et parce qu'il semblait avoir décidé d'écraser pour une fois le lâche qu'il avait l'impression d'être, il s'approcha de Calixte, écarta les bras et le serra contre lui. Comme lorsqu'ils avaient 7 et 10 ans, comme quand tout allait bien, avant que tout ne dérape, avant que l'ambition d'un père ne finisse d'achever de les séparer.

« Merci, Cal... », murmura Edward sur un ton qui mêlait à la fois excuses et respect.

Lorsqu'il le lâcha, ce fut pour lui tourner le dos et ne pas avoir à affronter un regard très certainement consterné par ce qui venait de se passer.

« Je sais que tu aimerais que les rôles soient inversés. Je sais très bien que tu aimerais être l'aîné, pour que tes sacrifices aient un sens et que tu ne sois pas juste un « au cas où ». Mais la vérité, frangin, ce que ce n'est ni juste pour toi, ni pour moi, ni pour Alice. »

Il se tourna finalement vers son frère, une expression résignée et sévère sur le visage.

« Nous sommes nés avec une petite cuillère en argent dans la bouche, nous avons suffisamment d'argent pour que les trois générations suivantes vivent confortablement, nous avons un nom, un titre... et nous sommes tous les trois prisonniers d'une cage dorée dont seul père possède la clé. Je peux t'assurer que ma place n'est pas beaucoup plus intéressante que la tienne. Oui, c'est vrai, je serai bientôt Duc, oui c'est à moi que les Veilleurs vont s'adresser et ça aussi ça n'a aucun sens. Mais on n'attend pas de moi que je sois un Duc mais le Duc. Une copie parfaite de père avec la même façon de penser, les mêmes idéaux, les mêmes principes, les mêmes ambitions... mais ce n'est pas moi ! Ça n'a jamais été moi ! »

À mesure qu'il parlait, Edward sentait une nervosité inhabituelle le gagner.

« Si tu savais... père m'a confié des choses effroyables. J'ai toujours cru que nous étions les garants de l'équilibre entre mutants et humains mais à ses yeux, nous devons être capables d'utiliser l'un et l'autre des deux camps à notre guise. C'est ça la justice, pour lui ? Chercher un remède pour guérir le génome mutant, voilà qui serait utile ! Conserver l'équilibre pour mieux organiser son bouleversement c'est... c'est répugnant. »

Edward avait bien des défauts mais ce qui était certain, c'était qu'il ne concevait pas l'équilibre comme son père. Il ne s'imaginait pas non plus vivre avec la mort d'un mutant sur la conscience.

« Je me sens prêt à être Duc, mais je ne me sens pas prêt à être le fantôme de père qui hantera bientôt les murs du domaine. Mais je... j'ai peur que la reste de la famille ne le comprenne pas. J'ai peur que vous ne me pensiez trop laxiste de simplement vouloir faire évoluer les choses en faveur d'un véritable équilibre. Je ne veux pas être l'ombre de père, Cal... tu ne te rends peut-être pas compte mais ça me terrifie de me dire qu'un jour je... de me dire que je pourrais être un jour l'égal de celui qui t'a jadis condamner à l'obscurité le temps d'une nuit. »

Même lorsqu'il paniquait, Edward gardait ce lyrisme un peu vieillot dans sa façon de parler. Pourtant, il était terrifié et son frère n'avait pas dû souvent le voir comme ça. À vrai dire... avait-il seulement jamais vu son aîné montré autre chose que de la retenue ? Pas sûr, à part peut-être la colère dont il faisait souvent les frais.

« Viens avec moi. Si je dois parler à père, si je dois lui tenir, si je dois lui imposer notre façon de voir les choses, je veux que tu sois là. S'il veut que nous fonctionnions de concert, il faut qu'il puisse accepter de nous voir le contredire. »

Ce n'était cette pas par peur de se retrouver seul face à son père qu'Edward voulait que Calixte vienne avec lui. C'était parce que pour la première fois depuis plus de dix ans, il avait enfin le sentiment de comprendre son frère et d'être compris de lui. Pour la première fois depuis longtemps, il voulait que Calixte soit son égal et non le petit frère à qui il faisait de l'ombre quotidiennement par sa simple existence.

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Jeu 19 Avr - 19:45
H. Calixte Seymour
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We are wasting his time

   edward & calixte
 
 
 
Aux yeux subjectifs de Calixte, personne n’aurait pu être plus différent de lui que ne l’était Edward. Si fratrie impliquait ressemblance, alors son vrai frère, pour ainsi dire, se trouvait en la personne de Cyrus et non en cet homme, en ce grand frère à l’ombre un peu trop sombre qui l’éclipsait si cruellement. Pourtant, à bien y regarder, Calixte et Edward étaient les rejetons de mêmes parents, d’une même famille, d’une même éducation pétrie d’exigence et d’histoire, d’attente et de sous-entendus. Pourtant, à bien y regarder, lorsqu’ils se mouvaient avec élégance et souplesse en société, ils étaient les mêmes. Deux reflets bien distincts de Papa, mais deux reflets d’une même réalité. Même costume, même regard légèrement condescendant, même aisance, même accent aux soupçons hautains, même vocabulaire soigné, même assurance simple et même charisme. Et si Calixte était bien plus expressif que son frère, et si Edward était bien plus calme que son frère, ils étaient frères, indéniablement frères. Sauf aux yeux déçus, amers, violents, agressifs et plongés dans le déni de Calixte. Personne n’aurait pu être plus différent de lui que ne l’était son frère. Cela faisait même des années que Calixte le pensait. Edward avait cessé d’être réellement un frère pour lui, était devenu cet imbécile qui se tenait entre lui et le titre, des années auparavant. Pas de date fixe, pas d’événement tragique, ça s’était juste fait petit à petit. La rancœur et la jalousie, le mépris et la désillusion s’étaient chargés chacun à son tour de ronger peu à peu ce qui les liait. Selon Calixte, il ne restait rien des jeux qu’ils avaient partagés, plus jeunes. Rien d’une hypothétique complicité. Juste la jalousie. Et la rancune.

Uniquement une jalousie violente, une rancœur amère, un mépris consistant et une désillusion persistante. Comme ce que Calixte crachait désormais : oui, Edward devait bien le haïr, puisque lui-même le haïssait. Et n’en déplaise à Edward, le surnom qu’il lui offrait n’avait rien de comparable à ceux dont il affublait ses copines et coups d’un soir. Au moins avait-il du respect pour elles. Dans un haussement d’épaules, Calixte tenta de se convaincre qu’il valait mieux que sa colère, qu’il ne se laissait pas affecter par tout cela, qu’il avait appris à s’en détacher des années plus tôt, tout comme il allait un jour devoir se résoudre à comprendre que Papa et ses si n’avaient été tout du long que des chimères, des bouts de viande agités sous son nez pour le maintenir en laisse, bien obéissant aux attentes d’un duc rattrapé par l’âge et vivant dans un passé peuplé de… de quoi au juste ? Peuplé d’un Edward malade, alité, à deux doigts de crever, scellant par cette seule réalité le sort de son cadet. Un sort dans lequel Edward, sans se poser la moindre question, continuait de l’enfermer.

N’en serait-t-il donc jamais libéré, Calixte ? Les chaînes posées sur ses poignets, l’empêchant de vivre sa passion d’altiste, l’empêchant de se marier, de s’affranchir, de se démarquer réellement, définitivement, allaient elles continuer à lui être imposée, même lorsque la question de la succession ne se posera plus, même lorsqu’Edward sera marié, père et toutes ces conneries qui allaient forcément suivre le mariage qui traînait en longueur ? Pourquoi, bon sang, pourquoi fallait-il donc qu’Edward ait hérité de cette logique perverse qu’avait acquis Papa au fil des années, cette logique qui le poussait à toujours vouloir un héritier de réserver, avoir une roue de secours pour protéger la lignée, pourquoi fallait-il donc que ce soit lui, et encore lui ? Edward se pensait enchaîné à un mariage ? Il ne voyait pas ce que ça impliquait. Il ne voyait que son petit nombril, ses propres petits soucis. Et rien, strictement rien, de cette colère et de cette fureur qui consumait Calixte. Et si Calixte lui-même ne parvenait pas à se détacher de son propre égoïsme ? Et bien voilà un point, encore un point sur lequel les deux frères Seymour se rejoignaient. Sans que ce ne soit pour le mieux. « Mon seul problème, tu dis ? Un problème a, par essence, une solution. Or, la solution en question n'existe pas car à moins que Diana ne meure dans les mois à venir, ce que je ne lui souhaite pas, je lui suis enchaîné. Ce problème, comme tu dis, n'a pas de solution. Mais je suis ravi de voir que mon existence nuit toujours autant au rayonnement de ta suffisance. Si je te suis si insupportable, qu'attends-tu donc pour me pousser dans un escalier ? Ose me dire que tu n'y as pas déjà songé, petit frère… » Calixte serra les poings. Sa mâchoire se contracta dans une inspiration, comme elle le faisait tant à chaque fois, à chaque fois que, en effet, Edward lui était si insupportable. Ce qu’il était à cet instant, à n’en pas douter. Tu te plains, tu te plains d’avoir la perspective d’une femme, d’une famille, d’enfants… tu ne sembles même pas te rendre compte que plus tu refuses Diana, plus tu me refuses tout ça. Si la perspective de ce mariage te rebute à ce point, et bien romps donc ces foutues fiançailles, trouve toi un autre parti, mais ne me pleurniche pas qu’il n’y a pas de solution. Tu es un monstre d’égoïsme, Edward, parce que tu ne te rends pas compte les traînées qui se vautrent dans mon lit, c’est la seule chose à laquelle j’ai droit. Parce que monsieur ne veut pas accepter son si douloureux sort d’héritier. Calixte était incapable de comprendre que son frère aîné n’en voulait pas, justement, de ce sort. Tout ce qu’il voyait, actuellement, c’était que ce qu’on lui refusait, ce dont Edward jouissait et précisément ce dont il se plaignait. Il finit par secouer la tête, dans un soupir. Cette discussion était stérile, dans tous les cas, ce que Calixte ne put que faire remarquer d’une voix sèche, amère, délicieusement amère, douloureusement amère. Oublie ça, de toute manière, tu n’en as strictement rien à foutre de ce que je pense.

Comme si mettre un point final sur cette partie-là de la conversation n’allait pas mener vers d’autres sujets plus épineux encore, plus nerveux encore. N’était-ce pas, de toute façon, constamment le même refrain entre eux deux ? Il n’y avait presque plus rien de fraternel dans leurs rapports. Désaccords, querelles, disputes, tout cela pétrissait leurs interactions, avec une agressivité et une médisance, avec des insultes implicites ou explicites, avec de l’acidité corrosive, dans chacun de leurs propos. Tout, absolument tout ne pouvait avoir qu’une seule conclusion : la victoire de l’un, la défaite de l’autre, l’humiliation de l’un, l’orgueil de l’autre, quand ce n’était pas une défaite pour les deux, quand ce n’était pas une humiliation pour les deux. Humiliation. La conversation suivit son cours, s’échoua dans une clairière bien plus éclairée que les sentiers, au grand soulagement de Calixte. Edward mit pied à terre, Calixte fit de même, laissant Aboukir tranquille, cédant aux sollicitations du poitevin en manque d’affection. Et d’exercice. La conversation avait suivi son cours, la colère de Calixte s’était évaporée sous un surnom, un simple surnom, et ce sujet, ce sujet de conversation, ce sujet-là, trouvant dans leur impuissance commune de quoi proposer une trêve inespérée.

Concentré sur son chien, Calixte refusa de considérer son frère. Le laissa parler. Tenta de faire taire l’enfant, l’enfant bientôt orphelin, l’enfant blessé par les propos d’un Papa trop dur, trop franc, trop coupant, pour ne laisser parler que l’adulte, pour que l’adulte puisse à nouveau s’opposer au Grand Frère. Calixte écouta Edward, les yeux rivés sur son chien, le temps qu’il lui expose tout. L’opération. L’opinion de Maman, les yeux qu’elle gardait obstinément fermés, réaction incompréhensible pour un fils qui voulait, bien au contraire, en savoir le plus possible. Silencieux, parmi les aboiements enthousiastes du chien de chasse, encore chiot par bien des aspects. Silencieux, parmi les mots d’Edward. Et son idée. Stupide. Rire nerveux, rire jaune, rire désespéré, ce fut un rire qui secoua tout d’abord Calixte, face à ce que proposait Edward comme dernier recours. Porter l’affaire devant un tribunal, vraiment ? Ca le tuerait, ça tuerait Papa de se voir humilié de la sorte, de voir son nom fuiter dans la presse, accolé au terme tutelle. Edward voulait-il à ce point pousser, jeter, enfermer Papa dans une tombe qui se creusait pourtant déjà à un rythme un peu trop conséquent ? « Je sais... je sais tout ça. Mais c'est la seule voie légale que nous ayons... » Calixte secoua la tête. C’est faux, et tu le sais C’était vrai, et Calixte le savait.

Mais ne pouvait le tolérer. Ne pouvait même pas tolérer cette apathie, cette obéissance bête à laquelle pliait Edward sans discuter. Ne pouvait même pas tolérer que son frère, son frère aîné, que le baron Seymour s’abaisser à de telles pensées, alors qu’il avait presque tous les pouvoirs, tous les moyens Seymour à disposition, alors que lui seul avait la crédibilité et la légitimité, cette légitimité que Calixte lui enviait tant, pour contrer Papa d’égal à égal, pour contrer le duc d’égal à égal. Ne voyait-il pas, Edward, qu’il s’enfermait dans son propre malheur en refusant de saisir les clés de sa libération ? Ne voyait-il pas que la seule chaîne qui entravait encore ses mouvements était une piété filiale bientôt tranchée dans le vif par le décès de Papa ? Ne voyait-il pas la jalousie et la colère dévorante de son petit frère, condamné à voir un tel gâchis se produire, encore et encore, alors qu’il aurait pu faire tellement mieux s’il était né trois, trois petites, trois minuscules années plus tôt ? C’était écoeurant, véritablement écoeurant de sentir son frère si faible, si inapte à succéder à Papa, et de se sentir si fort, si apte à prendre le relai. Tout en étant relégué au second rang, pas assez bien, pas assez calme, pas assez insipide. Calixte perdit le contrôle, justement, un contrôle qui lui faisait si facilement défaut. Il hurla dans cette clairière, à Edward, il lui hurla de se comporter comme l’aîné, puisqu’aîné il était en toute injustice. Il lui hurla sa lâcheté parce qu’au fond, Calixte aurait aimé avoir cette légitimité qui lui manquait, mais qu’il était lui aussi bien trop lâche pour perdre le peu qu’il avait. Loyal envers sa famille, Calixte l’était. Lâche, incapable de risquer sa position, même inconfortable, il l’était également. Jaloux… bonté divine, en voyant Edward se permettre de reculer, il sentit sa jalousie et sa colère s’enflammer un peu plus. Embraser son calme et sa retenue, son calme factice, sa retenue sans cesse forcée.

Qu’il s’impose, bon sang, qu’il tienne tête, qu’il relève la tête et cesse donc de courber l’échine. C’était tout ce qu’on attendait de lui, aux yeux de Calixte. Edward ne se rendait-il pas compte de la position qu’il allait occuper ? Des exigences qu’elle impliquait ? Oh, qu’il avait été prompt à lui cracher à la gueule que lui vivant, Calixte ne serait jamais duc. Oh, qu’il avait été prompt à brandir la menace d’un héritier. Oh, qu’il avait à la bouche les mêmes si que Papa, les mêmes je ne permettrai jamais que tu deviennes duc que Papa… Mais lorsqu’il s’agissait d’agir en tant que tel, il n’y avait plus personne. D’un regard noir, il considéra son frère qui venait d’allumer une cigarette. Il envisagea d’en réclamer une, ne put se résoudre à demander quelque chose à Edward, préféra poursuivre. Et hurler. Définitivement hurler. Laisser les mots s’échouer, dans le fracas du silence offert par son frère aîné. Echoué, ce fut ainsi qu’il se sentit. Echoué sur les berges de l’indifférence, semblait-il, d’Edward. Echoué, naufragé sur les récifs de l’indifférence d’Edward. Malmené par les vagues de sa colère. De sa jalousie. Calixte serra poing, prit comme prétexte ce misérable bout de bois qui faisait le bonheur du chien, mit toute sa rage dans son lancé qu’il l’envoya se perdre dans des bosquets, bientôt troublé par les sauts enthousiastes d’Edison. Silence, donc. Résigné à l’idée de n’avoir aucune réaction, Calixte lui tourna le dos, enfonça ses mains dans les poches. Et écarquilla les yeux devant l’étreinte d’Edward. Qu’est-ce que tu… « Merci, Cal... » Trop surpris, trop hébété de stupeur, Calixte n’eut même le réflexe de se dégager et d’envoyer Edward promener d’un mouvement aussi violent qu’autoritaire. Pourtant, ce n’était pas l’envie qui lui manquât : juste le sang-froid. Quand Edward le lâcha, Calixte se dégagea, fit un pas en arrière. Merci ? Merci de quoi, merci d’avoir exposé à quel point la providence était injuste en plaçant cadet le vrai duc de la famille ? Et bien de rien. Edward lui tourna le dos, Calixte n’eut même pas envie de lui cracher de le regarder dans les yeux.

« Je sais que tu aimerais que les rôles soient inversés. Je sais très bien que tu aimerais être l'aîné, pour que tes sacrifices aient un sens et que tu ne sois pas juste un « au cas où ». Mais la vérité, frangin, ce que ce n'est ni juste pour toi, ni pour moi, ni pour Alice. » Haussement d’épaules. Le rien à foutre se cantonna au regard - expressif - de Calixte. Non il ne savait pas, oui, il voulait être l’aîné. Et la vérité, c’était que la seule injustice qu’il parvenait à distinguer, c’était celle dont il était la victime. De quoi donc Alice avait-elle à se plaindre ? De quoi donc Edward avait-il à se plaindre ? Vraiment, Calixte ne voyait pas. « Nous sommes nés avec une petite cuillère en argent dans la bouche, nous avons suffisamment d'argent pour que les trois générations suivantes vivent confortablement, nous avons un nom, un titre... et nous sommes tous les trois prisonniers d'une cage dorée dont seul père possède la clé. Je peux t'assurer que ma place n'est pas beaucoup plus intéressante que la tienne. Oui, c'est vrai, je serai bientôt Duc, oui c'est à moi que les Veilleurs vont s'adresser et ça aussi ça n'a aucun sens. Mais on n'attend pas de moi que je sois un Duc mais le Duc. Une copie parfaite de père avec la même façon de penser, les mêmes idéaux, les mêmes principes, les mêmes ambitions... mais ce n'est pas moi ! Ça n'a jamais été moi ! » Calixte toisa son frère. Se contraignit au silence, certain qu’il était qu’Edward n’en avait pas fini : il était bien trop nerveux pour se taire après cette sortie. Et il reprit. « Si tu savais... père m'a confié des choses effroyables. » Pauvre bichon Le sarcasme dégoulina, acide. S’il pensait éveiller chez Calixte la moindre compassion, c’était une erreur. De la curiosité, oui. Mais de la compassion ? « J'ai toujours cru que nous étions les garants de l'équilibre entre mutants et humains mais à ses yeux, nous devons être capables d'utiliser l'un et l'autre des deux camps à notre guise. C'est ça la justice, pour lui ? Chercher un remède pour guérir le génome mutant, voilà qui serait utile ! Conserver l'équilibre pour mieux organiser son bouleversement c'est... c'est répugnant. » Calixte fronça les sourcils. Choisit de laisser Edward poursuivre plutôt de l’interrompre, ne se sentant guère enclin, pour le moment, à partir dans ce genre de discussion. A quoi donc jouait Edward, de toute manière, n’avait-il donc rien compris à ce que Calixte venait de dire et surtout pourquoi il le lui avait hurlé ? Calixte ne voulait pas aider son frère. Il ne voulait rien partager avec lui. Et surtout pas ses états d’âme : il avait encore bien trop en travers de la gorge l’attaque injuste portée par Edward sur la plaie du décès d’Abigaël pour ça, pour émettre n’était-ce qu’une seule remarque sur le devoir des veilleurs. Sans compter ce que les Howard lui avaient demandé, à propos du petit de l’orphelin, décision que Calixte n’avait pas encore pu se résoudre à prendre tout en sachant parfaitement celle à laquelle il n’allait pas pouvoir échapper.

Être prêt à être duc, ne pas être prêt à adopter le titre… Calixte cessa de regarder son frère, s’accroupit pour caresser Edison et répondre à son besoin d’affection. Peur d’être le fantôme de Papa, peur d’être l’objet d’une incompréhension, tout cela, Calixte ne pouvait pas le comprendre. Tout en le comprenant parfaitement. Il n’était pas un fantôme, il était une ombre. Il n’était pas l’objet d’une incompréhension familiale, il était l’objet de mépris. Edward ne voulait pas être l’ombre de Papa ? Et bien Calixte ne voulait pas être celle d’Edward, c’était aussi simple que cela. Et plongé, perdu, égaré dans son égoïsme et son égocentrisme, Calixte était tout bonnement incapable d’écouter réellement son frère. Trop de rancune, trop de jalousie, il n’écoutait que la surface, refusait de faire le moindre effort pour comprendre ce que son frère voulait dire. Tout ce qu’il entendait, c’était qu’Edward avait peur. Tout ce qu’il entendait, c’était qu’Edward était lâche, aussi lâche que Calixte l’était lui-même. Tout ce qu’il entendait, c’était ce surnom, trop de fois utilisé, comme pour le cajoler. Tout ce que Calixte entendait, c’était qu’une fois de plus, Edward l’humiliait en lui rappelant cette peur panique de l’obscurité que Papa avait tout fait pour supprimer en lui, mais qui, encore maintenant, constituait son plus grand cauchemar. Savait-il, Edward, le nombre de terreurs nocturnes que Calixte faisait encore maintenant ? Savait-il, Edward, ces crises de panique et d’angoisse qui le tétanisaient encore maintenant, à chaque coupure de courant, à chaque nuit tombée un peu trop rapidement ? Les jours allaient beau commencer à se rallonger, Calixte en avait encore pour au moins deux mois, si ce n’était trois, de frissons le matin en allant travailler, d’angoisse le soir, en sortant d’un bar ou d’une soirée. Est-ce qu’Edward en avait conscience, au moment de ramener ça sur le tapis ? Dans les phrases et les mots de son frère, Calixte n’entendait que le pire.

Le petit frère se redressa, ne parvint pas à rattraper son retard de centimètres sur son aîné. « Viens avec moi. Si je dois parler à père, si je dois lui tenir, si je dois lui imposer notre façon de voir les choses, je veux que tu sois là. S'il veut que nous fonctionnions de concert, il faut qu'il puisse accepter de nous voir le contredire. » Calixte le regarda dans les yeux. Quand avait-il totalement rejeté le prénom d’Henry pour s’affranchir comme il le pouvait de l’emprise si terrifiante, si forte et si omniprésente de Papa ? Quand il n’avait pas supporté de voir son avenir lui être arraché, lui être imposé. Quand avait-il commencé à s’exprimer par le scandale pour qu’on le regarde, pour qu’on le voie, pour exister simplement et pas seulement en tant que Seymour, mais en tant que Calixte, personne unique, personne remarquable, personne avant d’être un potentiel héritier ? A la même époque. Au fil du temps. Au fur et à mesure que l’ombre d’Edward l’avait englouti, arguant qu’il était meilleur que lui parce que quelques années les séparaient, à son avantage. Et au désavantage, éternel désavantage de Calixte.

Calixte le regarda dans les yeux. Et, de la même manière qu’Edward s’était tû précédemment, garda le silence. Si tu te sens prêt à être duc, alors commence donc par t’en assurer en osant avoir un peu de couilles, pour une fois, Ed’. Si je viens avec toi, ce sera pour servir de punching-ball, je ne me fais pas d’illusion. Et crois-moi, aujourd’hui, j’ai assez donné. Papa n’a aucun… Papa a été clair, il se fie à toi, et uniquement à toi. Moi, je ne suis que la roue de secours ratée, celle dont on se contentera si jamais quelque chose tourne mal, mais qui ne sera jamais aussi bien, aussi parfaite que le fils aîné, le fils parfait. Acides, les mots de Calixte étaient crachés du bout des lèvres. Vestige de son orgueil piétiné et de ses illusions fracassées. Ne compte pas sur moi pour te soutenir face à lui. Je t’ai dit ce que j’en pensais, tu sais mon avis. Mais au bout du compte, m’avoir à tes côtés te décrédibilisera plus à ses yeux qu’autre chose. Papa a été clair sur ce qu’il pensait de moi. Un vaurien, une traînée qui vend son corps, même pas pour du fric, mais pour quelques admirateurs et journaux. Et je sais qu’à tes yeux, je ne vaux pas beaucoup mieux. Alors non, je ne vais pas te servir de contraste pour que Papa voie à quel point tu es beau, tu es grand, tu es fort. Je ne vais pas te servir d’élément de comparaison pour faire ressortir à quel point tu vaux mieux que moi. Parce qu’un duo Edward et Calixte ne pourraient que tourner ainsi, Calixte en était certain. Parce qu’au fond, il était sûr que tout ce qu’Edward voulait, c’était d’avoir un peu de noir à côté de lui pour mettre en valeur sa blancheur éclatante. Que lui avait-il dit la dernière fois ? Père redoute plus que tout de te voir devenir duc un jour. Tu ne peux pas te tenir dans l’ombre, Ed. Tu ne peux pas te cacher derrière moi. Tu es seul. Seul avec tes décisions, des décisions que tu vas prendre seul. C’est ça que Papa veut voir. Pas une collaboration avec moi. Tu ne veux pas être dans l’ombre de Papa ? Et bien affirme toi, que diable ! Tu vas faire quoi, tu vas baisser les yeux et t’excuser ? Si tu veux aller le voir pour aller t’imposer, exiger ce dont tu as droit en tant que fils aîné, en tant que baron Seymour, en tant que foutu héritier, tu ne peux pas y aller en te cachant dans les jupes de Maman ou en te réfugiant derrière ma putain de grande gueule. Je t’ai dit le fond de ma pensée, tu en fais ce que tu veux, mais tu te démerdes tout seul. Quant à Calixte, il ne voulait tout simplement plus voir Papa.

Ne pas aller le voir. Ne pas aller contempler la décadence physique de Papa. Il ne s’en sentait pas capable, tout simplement. Tous ses beaux discours incitant Edward à plus d’autonomie étaient dit avec conviction, bien évidemment, mais ils étaient aussi là pour protéger Calixte, pour protéger un Calixte qui redoutait plus que tout de se confronter à nouveau à Papa. Sans Maman, sans la présence de Maman et la perspective d’un dîner avec elle, de ce morceau de musique qu’elle allait lui réclamer, de ces quelques notes de piano qu’il allait lui conseiller, il serait déjà parti, Calixte. Il serait déjà rentré pour ne pas avoir à nouveau à faire face à un homme qui, semblait-il, le méprisait. Il serait déjà rentré pour ne pas risquer de se sentir à nouveau mourir un peu devant le regard que Papa allait poser sur lui. Mais il y avait Maman, mais il y avait tout cela… Calixte soupira. Regarda l’heure et le ciel qui se couvrait de plus en plus. Nous devrions rentrer. Il va bientôt faire nuit. Et Maman va nous attendre.

 
 by marelle  

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Il aurait dû s'en douter. Il aurait dû savoir, Edward, que son frère refuserait catégoriquement un semblant d'ouverture dans le dialogue et que quoi qu'il dise, Calixte répliquerait le contraire par pur esprit de contradiction. Il aurait dû se douter que lui-même aurait fait la même chose et pourtant, Edward était profondément vexé. Un monstre d'égoïsme, disait Calixte ? Il est vrai qu'Edward aimait bien plus sa petite personne que la plupart de ses semblables et qu'il avait du mal à se faire à l'idée que tout le monde ne pouvait pas marcher dans le même sens que lui. Il était égoïste au point de n'avoir rien à faire du fait de défendre des salauds, égoïste au point de blesser ceux qui l'entouraient, égoïste par bien des aspects mais il trouvait pourtant son frère bien culotté de lui dire ça. Calixte était à des années lumières d'être altruiste et généreux, lui aussi cultivait une forme d'égoïsme assez typique d'une aristocratie vieillissante. Aussi, lorsqu'il voulut mettre fin au débat, Edward esquissa-t-il un sourire mauvais.

« En effet, je n'en ai rien à foutre. Pour quelqu'un qui ne cesse de me répéter de m'affirmer et de tenir tête à papa, je trouve que tu t'écrases beaucoup. Si tu souhaites tant que ça te marier et avoir des enfants, qu'attends-tu donc pour engrosser ta dernière conquête ? Ou bien est-ce la perspective de voir ton si précieux sang bleu se troubler qui te freine à ce point ? »

Ils avaient tous les deux leur manière de faire face à des attaques potentiellement vexantes. Calixte boudait, Edward attaquait. Il usait de vérités faussées et de mensonges pour blesser, assénait des répliques comme des coups de poing et prenait généralement beaucoup de plaisir à enchaîner les attaque déloyales. En cela, Edward était un imbuvable personnage car il était incapable de faire face à la critique, à plus forte raison lorsqu'elle était justifiée. Malgré tout, il se calma rapidement. Car dans le discours teinté de reproches et de méchanceté de son frère, il y avait une forme de loyauté masquée par des couches de rancœur. Il se calma car Calixte venait de lui dire ce qu'il avait besoin d'entendre mais qu'il était incapable d'assumer. Edward était perdu et ce depuis l'âge de 10 ans. Son père l'avait enfermé dans une bulle stérile, froide et impersonnelle, une bulle dont Edward ne voulait plus, une bulle qui lui donnait envie de vomir et qui finirait par le tuer. Mais ça, Calixte refusait de le voir, tout comme son aîné refusait de voir à quel point lui-même était enfermé. Il aurait fallu pour cela que l'un des deux accepte de tendre la main vers l'autre et d'être le premier à accepter ses torts. Dans un monde idéal, ce serait facile. Chez les Seymour, où régnait l'orgueil, il était difficilement d'admettre une faiblesse et ça, Edward et Calixte en étaient plus que conscients.

C'est donc sans surprise qu'Edward se senti profondément vexé que son frère n'accepte pas sa proposition, déçu que sa main tendue soit à ce point repoussée, blessé dans son orgueil parce qu'il avait eu le sentiment, l'espace d'un instant, de laisser son frère gagner. Il se ferma au fur et à mesure que Calixte débitait un discours détruisant tout ce que son aîné avait pu lui dire, croisa les bras et le toisa de toute sa hauteur. Qu'il avait été naïf de croire que Calixte l'aiderait pour le bien de leur famille... Edward n'avait pas songé un seul à utiliser son frère pour paraître plus grand face à leur père pour une raison très simple : il se sentait bien trop supérieur de par son statut d'aîné et de fils bien élevé pour croire un seul instant que son père avait besoin de ça. Il avait simplement souhaité unir leur force pour qu'enfin, leur père consente à leur laisser un ersatz de liberté.

« Tu dois être fort naïf ou désespéré pour croire que j'oserai un jour me cacher derrière toi, Henry. Tu es incapable de voir qu'en réalité, j'espérais faire valoir nos intérêts à tous les deux car tu ne vois rien d'autre que ton petit nombril bien lustré. Tu n'en as pas marre de jouer les divas à qui le monde entier en veut ? Ça ne t'empêche vraiment pas de dormir ? Puisque tu as tant besoin de voir père te regarder avec fierté, qu'attends-tu donc pour cesser de faire l'enfant et enfin agir comme l'adulte qu'il attend ? Tu es un sacré donneur de leçon mais tu es incapable de te remettre en question. Alors soit, reste là, reste figé dans ta morosité et tes pleurnicheries. »

Lorsqu'il était vexé, Edward pouvait se montrer mesquin voire cruel. Mais si ses mots avaient été à la hauteur de ceux de son frère d'un point de vue désagréable, le geste qu'il fit ensuite fut sûrement pire et pourtant particulièrement anodin. En quelques enjambées, Edward détacha Eden, monta en selle et toisa son frère de toute sa hauteur.

« Mais tu as raison sur un point : il faut rentrer. Tu ne vois pas le ciel qui commence à se coucher ? J'espère que tu retrouveras ton chemin avant qu'il fasse nuit noire, ce serait dommage de devoir dormir à nouveau dehors, tu ne crois pas ? »

Et d'un coup de talons, Edward lança sa jument au galop et quitta la clairière, laissant derrière lui un frère terrorisé par l'obscurité. Un rien suffisait à vexer l'aristocrate mais il se contentait rarement d'un rien en représailles. Il allait regretter son geste, c'était certain, mais il était hors de question qu'il s'en excuse un jour. À présent, il n'était plus seulement agacé, il était en colère. En colère contre Calixte, en colère contre leur père mais surtout en colère contre lui-même. Comment avait-il pu laisser son frère ainsi en jouant insidieusement avec sa plus grande phobie ? Arrivé devant la porte de la demeure, Edward descendit de cheval, le laissant aux bons soins de la palefrenière et s'engouffra dans la maison sans un regard pour sa mère. Les escaliers gravis quatre à quatre, il récupéra simplement son porte document et se dirigea vers la chambre de son père. Après quelques coups secs et nerveux frappés à la porte, il entra en tentant de contenir sa colère.

« Père... », se contenta-t-il de grogner en s'approchant du lit.

Aussitôt, un mouvement entre les draps lui indiqua que son père était réveillé et ce dernier se redressa pour le regarder.

Ah, Edward, enfin... Je craignais que tu ne m'aies oublié. Seigneur, tu empestes le cheval...

« Épargnez-moi vos commentaires olfactifs, je n'en ai vraiment rien à faire. »

George écarquilla les yeux, surpris par l'agressivité soudaine de son aîné et tendit la main pour prendre l'enveloppe qu'il lui tendait.

Je te remercie, tu peux disp...

« ça vous amuse ? »

Je te demande pardon ?

« J'ai dit : ça vous amuse ? Vous trouvez ça attrayant de nous monter l'un contre l'autre, Henry et moi ? Ça vous ravie de nous savoir plus proches de deux ennemies que de deux frères ? Vous trouvez ça drôle de nous pourrir la vie à tous les trois ? »

Baisse d'un ton immédiatement, Edward.

Il aurait voulu pouvoir lui hurler qu'il était hors de question qu'il se calme, il l'aurait voulu, mais il resta muet, les poings serrés, incapable de poursuivre face au ton péremptoire et aux yeux inquisiteurs de son père. Edward restait la marionnette docile prisonnière des mains d'un père qu'il aurait pu qualifier de sadique sans problème.

Puis-je savoir de quoi tu m'accuses ? Voilà un mois que nous ne nous sommes pas vus et tu entres comme un diable dans ma maison pour m'insulter ?

Edward pris le temps de respirer profondément avant de se lancer en désignant l'enveloppe toujours fermée que tenait son père.

« Vous nous cachez des choses, vous nous mettez à l'écart en permanence, vous nous traitez comme des enfants, père ! Est-ce donc ce souvenir-là que vous voulez que nous gardions ? Celui d'un tortionnaire qui aura manipulé ses enfants toute sa vie durant ? »

George leva les yeux au ciel, soupira et se redressa entre les oreillers.

Moi qui pensais que de vous trois, Henry le plus sujet au drame, je me rends compte que tu n'es guère mieux, mon fils. Vous avez un rôle à jouer, tous les trois. Tu dois faire honneur à notre famille, resserrer nos liens, ton frère doit se tenir prêt et Alice doit se plier au rôle qui est le sien. C'est tout.

« C'est donc cela. Je ne suis qu'un futur titre, Henry n'est qu'un substitut qui finira par devenir fou à force de n'avoir aucune existence réelle et Alice... bon sang, père... vous allez la tuer si vous vous obst... »

J'ai toujours fait ce qui était le mieux pour vous ! Je me suis saigné pour vous offrir une vie digne de votre rang et tu n'es qu'un petit ingrat !

Edward resta stupéfait. Même à l'article de la mort, son père était incapable de remettre ses décisions en question. Il n'y avait donc plus rien à lui dire, plus rien à faire pour le faire changer d'avis. Alors il se redressa, fixa un long moment son père et se lança en sachant qu'il ne pourrait pas revenir en arrière.

« Vous savez que ni Diana ni moi ne souhaitons de l'union que vous avez contractée à notre insu... mais si je consens à l'épouser dans les trois mois, accepterez-vous de faire quelque chose pour Henry ? »

À l'évocation du mariage, George s'était redressé, attentif, mais il resta un long moment silencieux.

Je n'ai pas pour habitude de marchander mais soit. Quelles sont tes conditions ?

« Fichez-lui la paix. Arrêtez d'essayer de faire de lui une copie de vous ou de moi car ce n'est pas ce qu'il est. Il est imbuvable, grossier, les tensions entre nous n'ont jamais été plus violentes qu'actuellement alors lâchez du lest, par pitié ! Laissez-le enfin mener sa vie comme il l'entend, tant qu'il ne déshonore pas notre famille. »

Face à une telle demande, George resta à nouveau silencieux et soupira.

Soit. Si tu me présentes un faire-part de mariage dans les plus brefs délais, je consentirai à être moins exigeant avec ton frère.

Edward hocha la tête avec la désagréable impression d'avoir droit ici à une semi victoire alliée à une échec cuisant. Cette fois c'était certain, il s'enfermait pour de bon dans le rôle que son père lui avait écrit. Sans un mot de plus, Edward se dirigea vers la porte, jusqu'à ce que son père le hèle et qu'il se retourne.

Ne me le fais pas regretter.

À nouveau, Edward hocha la tête, quitta la chambre et se précipita dans la sienne pour se jeter sous la douche et se débarrasser à la fois de l'odeur de cheval et de la honte qui ruisselait entres les articulations. Calixte serait inévitablement moins désagréable s'il pouvait enfin goûter à la liberté, s'il n'entendait plus perpétuellement qu'il fallait qu'il se tienne prêt, il serait moins sur le dos de son frère et c'était ça que voulait Edward : offrir à son frère une liberté qu'il jalouserait quotidiennement mais qui lui permettrait enfin de souffler. Seulement, il savait qu'en faisant cela, il venait de définitivement condamner Diana à un mariage que ni lui ni elle ne voulait. Avait-il bien agit ? Oui et non... il n'aurait simplement pas dû laisser son père diriger sa vie.

Lorsqu'il sorti de sa chambre et descendit l'escalier, vêtu d'un costume bien trop sérieux pour un repas en petit comité, ce fut pour trouver un Calixte haletant sur le pas de la porte. Toujours aussi agacé, perdu et amer, Edward esquissa un sourire mauvais et ne pu s'empêcher de se moquer de son frère.

« Tiens ! On dirait que le petit trouillard a retrouvé le chemin de la maison, finalement ? C'est bien, tu progresses... tu dois avoir faim, non ? »

S'il était satisfait ? Oui. Si c'était mesquin et puéril ? Aussi.

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Jeu 3 Mai - 21:39
H. Calixte Seymour
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Calixte était un homme profondément pétri de convictions et de certitudes. Peut-être trop, sûrement trop, lorsqu’on considérait avec quelle violence et détermination il avait foi en son devoir de Veilleur, en cet héritage qu’il portait et qu’il embrassait, mais ces convictions, ces certitudes, étaient ce qu’il était. Calixte était un homme profondément ambitieux, idéaliste. Il devait avoir six ans la première fois qu’il avait affirmé avec volonté, le port droit, le menton haut, les yeux étincelant de résolution et de fermeté que plus tard, il serait Lord Nelson. Il devait avoir six ans, et il n’avait pas accepté qu’on lui rétorque que non, lord nelson n’était pas une profession, que l’on ne pouvait pas devenir Lord Nelson. Ça ne l’avait pas arrêté, loin de là, parce que déjà à cet âge là, Calixte savait ce qu’il voulait, et savait également vers où se diriger. Et vingt-quatre ans plus tard, il n’avait que peu changé. S’il n’avait plus la prétention de devenir l’un des généraux les plus connus d’Angleterre, s’il n’avait en rien la carrure, ni la carrière, militaire de son idole, il restait fermement ancré dans ses bottes, s’engageait à coeur perdu dans son devoir de Veilleur et était rongé de rancoeur et de jalousie à l’idée d’être relégué au rôle impuissant d’observateur quand son frère n’était, de toute évidence, en rien le candidat idéal pour reprendre non seulement la tête du duché de Somerset, mais également celle de la grande famille des Seymour, à l’influence bien plus vaste que ce que l’on pouvait penser de prime abord. Hériter du titre de duc, ce n’était pas simplement un préfixe à son nom, ce n’était pas seulement une influence, ce n’était pas uniquement une place à la chambre des Lords, c’était également le pouvoir de faire bouger les choses, de contraindre l’existence des mutants, c’était également avoir entre ses mains la capacité d’infléchir le cours de l’histoire. Ce que Nelson avait fait à Trafalgar, ce que Nelson avait fait à Aboukir. Ce que Calixte entendait bien faire un jour. Et qu’Edward saborde le tout, qu’Edward soit incapable d’agir comme il le devait, qu’Edward ne soit clairement pas à sa place en aîné alors que Calixte, lui, aurait fait un duc d’excellence… comment aurait-il pu réagir calmement ? Comment, même, aurait-il pu accepter sans sourciller ce que son frère lui proposait ?

Calixte en avait assez de n’être qu’une roue de secours, Calixte en avait assez de n’être qu’un soutien, de n’être qu’un vulgaire élément de comparaison. La proposition d’Edward pouvait être sincère, dénuée de mauvaises pensées, dénuée même de faux-semblant, Calixte fut incapable de l’envisager une seule seconde. Tout ce qu’il vit, ce fut la confirmation de ce dont il était déjà convaincu. Tout ce qu’il entendit… ce fut qu’Edward était lâche, Edward était faible, Edward était capricieux, Edward n’avait rien d’un duc. Et Papa était incapable de le voir, bercé par l’illusion d’un fils parfait. Comment Calixte aurait-il pu accepter la proposition d’Edward, alors qu’il se vit brutalement transformé en miroir réfléchissant, un miroir déformant, pour éclairer l’aîné ? N’était-ce pas son rôle, de toute manière, celui que son père voulait lui imposer, celui auquel il se pliait de mauvaise grâce, rancoeur et reproches aux lèvres ? Le rôle de tremplin. Le rôle de chevalier servant. Le rôle d’un imbécile, que Calixte ne comptait jamais endosser un jour, pour ne surtout pas ressembler à la pâle copie de stratège qu’était John Seymour actuellement. La colère de Calixte se fit moteur de sa réponse, de son refus, de son orgueil exposé. Un duo Calixte-Edward soudé devant Papa n’était pas qu’impensable, c’était également stupide. Oh, oui, Calixte voyait clair dans le jeu de son aîné. Pour récolter tous les honneurs, pour briller davantage encore, face au petit frère déconsidéré, humilié… Papa avait été clair un peu plus tôt, il n’avait que du mépris pour son cadet, un mépris teinté de condescendance et de déception, et de ce mépris, Calixte avait assez goûté pour la journée, pour le week-end. S’il en avait tenu qu’à lui, il serait déjà reparti pour Killingworth, d’ailleurs. S’il n’y avait pas eu Maman et son regard saisissant, ces attentes et l’atmosphère rassurante de la demeure de son enfance. Calixte ne voulait pas soutenir son frère, c’était ce qu’il se répétait et ce qu’il lui répétait. Ce n’était peut-être pas tout à fait vrai, pas tout à fait faux. Mais c’était ancré également dans la certitude qu’il avait assez vu Papa de la journée, de toute manière. Et permettre à Edward de se cacher derrière, ce ne serait en rien rendre service à ce petit duc de pacotille qui aurait pu lui faire pitié s’il ne l’avait pas déjà détesté à ce point. Chose qui n’était pas près de changer.

« Tu dois être fort naïf ou désespéré pour croire que j'oserai un jour me cacher derrière toi, Henry. Tu es incapable de voir qu'en réalité, j'espérais faire valoir nos intérêts à tous les deux car tu ne vois rien d'autre que ton petit nombril bien lustré. Tu n'en as pas marre de jouer les divas à qui le monde entier en veut ? Ça ne t'empêche vraiment pas de dormir ? Puisque tu as tant besoin de voir père te regarder avec fierté, qu'attends-tu donc pour cesser de faire l'enfant et enfin agir comme l'adulte qu'il attend ? Tu es un sacré donneur de leçon mais tu es incapable de te remettre en question. Alors soit, reste là, reste figé dans ta morosité et tes pleurnicheries. » Donneur de leçons ? Diva ? Calixte écarquilla les yeux, pinça les lèvres, contracta sa mâchoire pour se retenir de frapper Edward. Comme si mes intérêts te tenaient vraiment à coeur s’autorisa-t-il seulement à articuler avec colère. Parce que ses intérêts, personne ne les défendait plus depuis des années. Où donc était Edward, lorsque Papa avait déchiré la lettre d’admission du LSO avant de la jeter négligemment à la poubelle ? Où donc était Edward quand Papa lui avait fait clairement comprendre qu’il ne serait jamais libre de se marier avec la femme de son choix ? Où donc était Edward quand Papa avait tracé sous les yeux médusés de Calixte le parcours de sa vie future, de l’obtention du diplôme de master à l’intégration des locaux d’Asclepios, comme un pion disposé sans aucun libre-arbitre ? Et où donc était Edward, quand Papa l’avait humilié un peu plus tôt dans la journée ? Les intérêts de Calixte, personne ne s’en souciait parce qu’ils ne rentraient guère en jeu, parce qu’ils n’avaient aucune existence propre, pas plus que ceux d’Edward ne pouvaient en avoir. Et oui, Calixte se comportait parfois - souvent - comme une princesse, sans même s’en rendre compte, sans même l’admettre, mais il fallait l’admettre : son nombril était bien le seul qui importait, quoiqu’on puisse en dire. Parce qu’il fallait bien que quelqu’un le regarde. Papa ne veut pas être fier de moi. Quoique je fasse, je le décevrai, ça fait des années que je l’ai compris. C’était un mensonge, bien évident, mais c’était un mensonge rassurant. Agressif. Protecteur. Tout, tout plutôt que d’assimiler qu’Edward avait raison, mais que Calixte était incapable de se plier complètement aux désirs de son père, tout en n’ayant en aucun cas le courage d’envoyer tout promener. Calixte était bloqué entre l’acceptation et le refus. Et Edward semblait l’avoir compris, quand Calixte se contentait de fermer les yeux sur ses rébellions ridicules et sa lâcheté écoeurante.

Les bras croisés, le visage fermé, vexé, Calixte regarda son frère qui remontait en selle avec une aisance qu’il lui enviait. En avait-il fini ? Peut-être bien, et Edison dut le sentir puisqu’il revint aux pieds de son maître en un claquement de doigt. Edward en avait-il fini, ou... « Mais tu as raison sur un point : il faut rentrer. Tu ne vois pas le ciel qui commence à se coucher ? J'espère que tu retrouveras ton chemin avant qu'il fasse nuit noire, ce serait dommage de devoir dormir à nouveau dehors, tu ne crois pas ? » Avant d’avoir pu faire un pas, Calixte se retrouva dans la poussière du chemin soulevée par Eden, et empêtré dans la solitude brutale qu’Edward venait de lui imposer. Il ne l’avait pas vue venir. Cette traîtrise supplémentaire, cette preuve supplémentaire de la haine qu’Edward concevait pour lui, il ne l’avait pas vue venir. Et alors qu’il aurait pu monter lui aussi en selle, demander à Aboukir de rattraper Eden et Edward, il resta bien au contraire complètement tétanisé de surprise. Tu ne vois pas que le soleil qui commence à se coucher ?, si, justement, il le voyait et il le voyait même très bien. Trop bien. Nerveusement, Calixte alla chercher Aboukir. Calixte à l’imagination trop fragile, Calixte qui lançait des coups d’oeil de plus en plus nerveux, de plus en plus rapprochés en direction d’un ciel nuageux, d’un ciel obscurci, d’un ciel qu’un orage latent transforma en ténèbre en l’espace de quelques minutes. Un ciel auquel s’ajouta l’horizon rougie. Calixte tremblait, Calixte dut s’y reprendre à deux fois pour remonter sur Aboukir, incapable de se résoudre à faire le chemin à pied. Calixte se crispa sur les rênes, dut choisir entre le trot et l’assurance de ne pas tomber, entre la rapidité du trajet et la lenteur d’un pas assuré. Calixte insulta Edward le temps de rallier les écuries, confia un Aboukir qu’il n’avait pas le courage de soigner pour le moment à Alexandrine, Calixte parvint au bout de son calvaire, les cheveux dégoulinant d’une pluie annoncée comme torrentielle, qui ne faisait que commencer mais qui avait réussi le double exploit de le tremper jusqu’aux os et de le plonger dans l’obscurité la plus complète, que perçaient fort heureusement tous les éclairages du Manoir.

Calixte donc, était de bien méchante humeur - charmante façon de dire qu’il oscillait entre les larmes et la colère, entre la panique et la fureur - lorsqu’il poussa les portes de la cuisine, traça un chemin vers le hall et tomba nez à nez avec le plus grand imbécile jamais né en Angleterre. « Tiens ! On dirait que le petit trouillard a retrouvé le chemin de la maison, finalement ? C'est bien, tu progresses... tu dois avoir faim, non ? » Calixte le foudroya du regard, avant de lui mettre son poing dans la figure et de lui offrir, en bonus un doigt d’honneur explicite. Va te faire foutre, enfoiré !

“HENRY !” Il se figea, prêt à cracher d’autres insultes à son frère, coupé dans son élan par la voix de Papa qui descendait à son tour l’escalier, en tenue pour le dîner. Sans comprendre, Calixte capta un regard de son père à son frère, fronça les sourcils, releva le menton, défiant. “Tu empestes toi aussi, va donc te laver, ne sois pas en retard pour le dîner. Et comporte-toi comme un homme et non comme un dégénéré.” Calixte se mordit la lèvre pour retenir une remarque, céda finalement dans un sifflement qu’il regretta aussitôt, Et vous, vous empestez le cadavre., bouscula son frère et grimpa l’escalier d’un pas vif pour rejoindre sa chambre. Et aller chasser sa terreur, reprendre ses esprits, la contrôle de ses pensées, de ses gestes, retrouver une maîtrise suffisante pour faire illusion au dîner et ne pas faire de peine à Maman.

Sous la douche, il soupira. Il ferma les yeux, brièvement, avant de se laisser assourdir par le jet d’eau, aveugler par ses cheveux trempés, par l’eau dégringolant sa peau, jusqu’au bout des doigts. Une dizaine de minutes, une dizaine d’autres passées à se recoiffer, à se sécher, à tailler sa barbe également. Une poignée de minutes supplémentaire pour se choisir une tenue et Calixte redescendit, contraignit un sourire à se poser sur ses lèvres juste avant qu’il n’entre dans le trop grand salon du Manoir, embrassa Maman sur la joue pour s’excuser de son retard et prit son inspiration en apercevant le couvert à la droite d’Edward, en face de Papa. Tendu, il s’assit, ignora son frère, ignora Papa. Préféra regarder Maman qui le fixait, certainement en train d’essayer de déterminer dans quel état se trouvait son fils cadet. Je n’ai pas eu le temps de vous le dire tout à l’heure, Maman, mais vous êtes radieuse. Est-ce un nouveau collier que j’aperçois ? Pas un regard pour Papa, pas un regard pour Edward : Calixte avait pris le parti de les ignorer superbement afin que le dîner soit expédié au plus vite. C’était sans compter sur cette volonté qu’avait Maman de faire le lien entre tous les membres de sa famille. “Merci mon chéri, c’est ton frère qui me l’a offert.”

 
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Sam 26 Mai - 19:44
Edward T. Seymour
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Edward était en colère. Après son père, après son frère, après un univers poussiéreux et arriéré qui le forçait à être celui qu'il n'était pas. Il enviait ces hommes et ces femmes qui naissaient sans avenir tout tracé, à qui on ne disait pas dès le plus jeune âge « tiens-toi bien car tu représentes l'avenir de la famille », à qui on ne répétait pas qu'un futur duc se devait d'être irréprochable, ces hommes et ces femmes qui étaient libres d'être qui ils voulaient. Ils avaient le choix de devenir des héros, des criminels, des personnes lambda, qu'importe, ils pouvaient choisir leur propre voix. Edward n'avait pas ce choix car il était pieds et poings liés face à son père. Il ne pouvait nier qu'il lui arrivait régulièrement d'avoir envie de tout envoyer balader, d'imiter son frère et de se faire remarquer d'une bien désagréable manière aux yeux de George... il avait souvent cette envie qui le démangeait de ne plus être le pantin effacé mais le marionnettiste déluré. Mais lorsque l'envie devenait irrépressible, la raison revenait le museler et il ne faisait rien. Il restait à sa place, emmuré dans son silence et crachant son mépris pour évacuer la frustration.

Alors c'était certain. Edward enviait Calixte. Il crevait de jalousie pour ce petit frère impétueux, coureur de jupons, socialement bien plus adapté que lui, un petit frère qui, malgré son statut de « roue de secours », comme il le disait si bien, pouvait faire ce que lui ne se permettrait jamais. Quelque part, si les rôles avaient été inversés et si Calixte avait été l'aîné, les choses auraient été plus simples : à bien y regarder, Edward n'aspirait pas vraiment à devenir duc. Comme l'aurait-il pu alors qu'on le lui rabâchait depuis son enfance ? Comment aurait-il pu seulement être impatient de devenir ce qu'il serait quoi qu'il arrive ? Il se serait fort bien contenté de la seconde place, profitant d'une enfance dorée, d'une fortune colossale et d'un métier qui lui rapportait tout autant.  Peut-être même aurait-il pu ne pas se sentir obligé de repousser Rosamund, huit ans plus tôt. Songeant à elle, il serra les poings. Qu'importe s'il se fourvoyait ou se trompait sur les sentiments qu'il croyait éprouver à son égard, elle lui serait à jamais refusée. Tout ça parce qu'il était né noble et elle non. Lorsqu'il sorti de la chambre de son père, Edward se rendit compte qu'il venait une fois de plus de piétiner et enterrer tout espoir qu'il aurait pu avoir d'un jour oser dire à la jeune avocate qu'elle ne lui était pas si insupportable que cela, finalement. Pour s'assurer un peu plus de calme entre lui et Calixte, il venait tout simplement d'ajouter un maillon à la chaîne bien solide qui le maintenait prisonnier de son nom.

Les colères d'Edward avaient toujours été plus froides et moins impressionnantes que celles de son frère. Plus pernicieuses aussi. Il était rancunier, le Seymour, il n'oubliait jamais et ses colères se nourrissaient d'une rancœur qu'il n'hésitait pas à recracher au visage de ceux qui lui causaient du tort. C'est donc sans hésitation qu'il se moqua de son frère alors qu'il descendait triomphalement le grand escalier de la demeure Seymour. Fier de lui, regardant son cadet de haut, Edward se délectait de ces tremblements d'une peur encore mal maîtrisée qu'il distinguait chez Calixte et lorsque ce dernier lui mis son poing dans la figure, Edward accusa le coup avec un léger sourire. La douleur n'était rien comparée à la satisfaction qu'il éprouvait mais il n'eut malheureusement pas l'occasion de rabaisser plus encore son petit frère car déjà, George venait mettre un terme à leur querelle d'enfants. Edward se tourna vers son père, lui jeta un regard qui signifiait tout, un regard qui l'accusait d'être le responsable de tout cela et tira un mouchoir de la poche de sa veste pour éviter que le sang perlant à sa lèvre n'aille tâcher son beau costume. Ils auraient pu en rester là, si Calixte n'avait pas parlé plus vite qu'il ne pensait. Alors qu'il le bousculait, Edward lui attrapa fermement le bras et chuchota quelques mots à son oreille.

« S'il me faut t'imprimer le respect dans la chair et la violence, mon frère, je le ferai. Je te conseille de très vite apprendre à réfléchir avant de parler. »

Edward ne sut pas si son frère l'avait écouté ou ignoré, mais il fut rapidement à l'étage et s'éclipsa pour ne plus supporter ni la présence de son aîné, ni celle de leur père. Le repas promettait d'être grandiose. Edward dévala les dernières marches le séparant du rez-de-chaussée et retrouva sa mère au salon dans un soupir de soulagement. Elizabeth était l'incarnation de la duchesse qui, malgré son âge, ses cheveux grisonnants et ses rides de plus en plus marquées, gardait une énergie et un port de tête incomparable. Elle avait l'élégance et la droiture mais aussi la douceur d'une mère et Edward comme Calixte avaient toujours eu plus de facilité à se confier à leur mère, quand Alice avait toujours été plus proche de leur père. Elizabeth comprendrait, elle... mais Edward n'eut pas le temps de lui dire quoi que ce soit.

« Il va falloir que cela cesse, Edward. Ton frère et toi devez vous soutenir pour maintenir l'image de notre famille. »

Edward se tourna vers son père et sur son visage passèrent la colère, l'écœurement puis, finalement, la résignation. Il poussa un léger soupir et haussa les épaules.

« J'en ai plus qu'assez d'obéir à vos petites exigences de seigneur, père. Ça aussi, c'est une chose qui devrait cesser. »

Stupéfiée, Elizabeth resta sans voix mais posa sa main sur le bras de son fils, sûrement de peur de voir les choses dégénérer. Impassibles, le père et le fils se toisèrent un long moment et Edward se demanda à quoi pouvait bien penser son père lorsqu'il le fixait ainsi, les yeux plissés. George finit par passer devant Edward pour aller s'asseoir à la table.

« J'attends de toi que tu ailles t'excuser auprès de ton frère après le repas. Et je n'accepterai aucune remarque de ta part ! »

Edward avait ouvert la bouche pour protester et se retrouva incapable de dire quoi que ce soit alors que ses poings se serraient de frustration. Il ne décolérait pas, conscient qu'il était que tôt ou tard, cette rage glacée s'exprimerait et il craignait que cela ne se produise lorsqu'il serait en présence de son frère. Lorsque celui-ci se présenta au salon, Edward adopta un comportement similaire : il l'ignora purement et simplement. Il se concentra sur son assiette, souhaita que le dîner passe rapidement mais ne put s'empêcher d'arborer un sourire plein de satisfaction mesquine lorsque Calixte fit un commentaire sur le collier que portait leur mère.

« Ce sont des pierre de jade montées sur un bijou en or jaune. Un petit souvenir ramené de mon dernier voyage en Amérique du sud. »

Fallait-il préciser que le voyage ne concernait en aucun cas ses loisirs personnels – de toute manière inexistants – mais bien la défense d'un client au casier long comme le bras et à la fortune composée exclusivement d'argent sale ? Non, bien sûr que non.

« Henry n'a pas tort, mère. Il rehausse la couleur de vos yeux. »

Naïve, Elizabeth gratifia ses enfants d'un sourire.

« Et toi, Henry, voyages-tu ces temps-ci ? Nous te voyons de moins en moins... As-tu croisé la jeune Howard, ces derniers temps ? »

Erreur, grossière erreur, du moins c'est ce que pensa Edward en sentant sa main se raidir sur la fourchette en argent qu'il tenait.  Il savait sa mère pleine de bonnes intentions mais étant donné les mots très durs que lui-même avait eu à l'égard de son frère au sujet d'Aby, il n'était pas certaine qu'évoquer Kaisa, qui ressemblait indéniablement à sa défunte cousine, soit une si bonne idée que cela. Il aurait pu faire une remarque supplémentaire, lâcher d'une voix méprisante qu'avec Calixte, les filles changeaient d'une semaine à l'autre et que s'il avait pu se marier plusieurs fois, il n'aurait pas eu assez de doigts pour toutes les contenter mais il préféra ne rien dire. Il se contenta d'observer la situation, sa main tremblant légèrement tandis qu'elle se couvrait d'un fluide rougeâtre à l'aspect bien peu ragoûtant. Il n'y eut bien que George pour remarquer cela lorsqu'il le rappela à l'ordre.

« Edward ! »

Aussitôt, le Seymour se tourna vers son père en se raidissant sur sa chaise. Sur sa main, nulle trace rouge.

« Oui, père ? »

George marqua un temps d'hésitation puis répondit.

« Mange pendant que c'est chaud. »

Edward resta interdit un instant puis, tandis que la conversation se poursuivait tant bien que mal entre Calixte et leur mère, obtempéra sans faire d'histoires.

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Mar 29 Mai - 23:14
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Et vous, vous empestez le cadavre. De sa voix sifflante, Calixte laissa d’abord parler son mal-être avant de communiquer à Papa ce mélange de respect et de crainte qu’il lui inspirait. Et ses mots n’étaient pas encore dispersés qu’il les regrettait déjà. Dans une respiration pénible, il croisa le regard de Papa, un regard où se mêlaient colère, déception et douleur, voulut s’excuser de cette agressivité aussi justifiée que gratuite, préféra se claquemurer dans son orgueil et sa panique sous contrôle pour s’enfuir à l’étage, dans la retraite paisible et protectrice de ses appartements. Préféra bousculer son frère et… une main se ferma sur son bras, Calixte se dégagea d’un mouvement vif, perdant ses prunelles furieuses dans celles de son frère. « S'il me faut t'imprimer le respect dans la chair et la violence, mon frère, je le ferai. Je te conseille de très vite apprendre à réfléchir avant de parler. » Mâchoire crispé, il l’ignora. Il ignora son frère qui avait bien évidemment raison, il ignora la culpabilité qui pointait au même titre que les larmes, et que cette détresse latente qui lui étreignait la poitrine, encore et encore, pour mieux l’asphyxier de cet écartèlement entre ses doutes et ses regrets, entre sa colère et son angoisse, entre toutes ces émotions qui nouaient sa gorge et l’empêchaient de raisonner convenablement.

La porte claqua, Calixte se réfugia sous la douche, pour noyer dans l’eau chaude qui l’enveloppait les traces d’une nuit orageuse à venir, les mots et les gens, la sensation de son poing percutant ce petit con d’Edward, la culpabilité encore et la colère surtout, la bile qui lui montait à la gorge, acide, âcre, amère, persistante, comme une envie de partir d’ici et de trouver refuge ailleurs. D’appeler Helena, en oubliant qu’elle ne lui parlait plus, de fouiller, désespérément, sa poubelle, à la recherche d’un vulgaire bout de papier où avaient été jetés dix chiffres comme une invitation… Calixte rouvrit les yeux, chercha l’heure, se souvint qu’on l’attendait pour manger et qu’il était déjà suffisamment en retard pour que l’agaçant se transforme en inacceptable même dans le regard de Maman. Quitta l’étreinte de l’eau chaude pour l’atmosphère réconfortante de sa chambre, de ses habits choisis sans réfléchir davantage que nécessaires. Il rejoignit le salon d’un pas rapide, résigné, dans un visage qu’il se força à détendre par égard pour Maman, alors que son regard ignora volontairement ceux d’Edward et de Papa, pour ne pas raviver sa colère et son malaise. Ainsi que sa culpabilité. Il le savait, Calixte, après le repas, lorsqu’ils dévieront vers le petit salon pour le café, fumer et discuter, il n’allait que pouvoir, que devoir s’excuser auprès de Papa, éventuellement auprès d’Edward, se plier aux exigences du duc et de son éducation, ne serait-ce que par égard, une nouvelle fois, pour Maman. Maman et son regard insistant, Maman et son sourire triste de voir ses fils se détester, Maman et ses attentes, presque aussi lourdes à porter que celles de Papa. Des attentes enveloppées de la soie qu’était la douceur naturelle de Maman. Le silence menaça, Calixte ne put le supporter, tout ne put que le pousser à le rompre dans un sourire qu’il voulut réconciliateur. Maman n’aimait rien de plus que les dîners de famille, rien de moins que les disputes, il ne pouvait pas la laisser avec des regrets. Et commencer par un compliment sur sa beauté préservée par l’âge, transcendée par son élégance et son maintien, et par tout l’amour filial qu’il lui portait, cela lui semblait un bon début. Au détail près qu’elle le força à tourner son regard vers Edward, dans une crispation. « Ce sont des pierre de jade montées sur un bijou en or jaune. Un petit souvenir ramené de mon dernier voyage en Amérique du sud. » Nianiania, Calixte pinça les lèvres. Commenta d’une voix suintant de colère froide : Tu as bien choisi, Edward qui lui laissa un goût amer sur la gorge, que la soupe, pourtant délicieuse, ne parvint pas à éliminer. « Henry n'a pas tort, mère. Il rehausse la couleur de vos yeux. » Politesse tendue, guindée, forcée, Calixte feinta un sourire complice en direction de son frère, pour maintenir une illusion sommaire et consoler Maman. Un sourire qui se figea une nouvelle fois quand elle relança : « Et toi, Henry, voyages-tu ces temps-ci ? Nous te voyons de moins en moins... As-tu croisé la jeune Howard, ces derniers temps ? » Sa main trembla, il dut reposer sa cuillère pour ne pas salir la table ou sa chemise. Déglutit, tout en cherchant le piège, déjà tendu, déjà activé, piège dans lequel il s’était jeté… il ne savait trop quand. Piège déjà refermé. Calixte s’humecta les lèvres, tout en cherchant non seulement ses mots, mais également ceux que Maman souhaitait entendre. Et s’il savait avoir eu tout le soutien espéré de sa part neuf ans plus tôt… la présence d’Edward et plus encore celle de Papa rendait tout cela plus compliqué encore. Prenant son inspiration, Calixte prit le parti de répondre aux questions de Maman dans l’ordre pour commencer. Et bien, il est vrai que je voyage bien moins que mon frère ces derniers temps. Asclepios me réclame ici. Aucun voyage de prévu, même si j’ai reçu avant-hier une invitation de... Son regard oscilla, voulut rejoindre Papa, se retint de justesse. du LSO pour un concert en Allemagne. Je ne sais pas encore si… « Edward ! » Calixte s’interrompit, se tourna vers Papa autant que vers Edward, dans un jeu de regard aussi vif que chargé d’incompréhension. « Oui, père ? » Le silence hésita, Papa également. « Mange pendant que c'est chaud. » Calixte fronça les sourcils, vacillant entre l’envie de se parer d’un sourire sarcastique et l’inquiétude de ne pas comprendre la signification de tout ceci. « Tu vas y aller j’imagine ? Tu ne résistes que rarement à ce genre d’invitation. »

C’était un fait, Calixte n’hésitait presque jamais en temps ordinaire. Bien au contraire, il se débrouillait même systématiquement pour proposer des réunions, des conférences, des interventions et des déplacements aux bonnes dates, pour masquer ces invitations dans l’ombre d’un prétexte professionnel. Sauf que cette fois-ci, le LSO n’était plus peuplé que d’inconnus distants. Il y avait aussi une rousse, et la présence, attendue, de cette rouquine… Calixte but une gorgée de vin pour recentrer ses pensées et les recentrer sur une autre femme. Kaisa Howard. Je ne sais pas encore, si j’aurai l’opportunité d’y aller. Mais puisque vous parliez de la jeune Howard, justement… je l’ai croisée récemment… Et tout, absolument tout était résumé dans cette suspension dans sa voix, une voix étranglée. Elle possède un charme sûr et est d’une fraîcheur saisissante. Avec votre permission, et votre discrétion, j’envisageai de l’inviter à ce concert. Et sur ses derniers mots, Calixte sentit sa voix lui échapper, dans un tremblement détestable. Qu’avait-dit Edward, déjà ? Ça va, tu arrives à dormir avec son fantôme qui te hante. Non, non, Calixte n’arrivait pas à dormir. Non, Calixte n’arrivait même pas à l’oublier, à passer à autre chose, ou du moins, pas aussi facilement qu’il pouvait le laisser croire. Kaisa en était la preuve, sitôt qu’il l’avait vue, il n’avait pas pu s’empêcher, d’espérer. De l’observer. Et de la vouloir, comme on pouvait souhaiter obtenir la copie d’un objet perdu. Calixte ferma les yeux, se leva précipitamment. L’air lui paraissait irrespirable, et malgré le réprobateur « Henry ! » de Papa, il ne se rassit pas, bien au contraire. Par… Pardonnez-moi, je… je vais prendre l’air

Comme un peu plus tôt, quand il avait fui dans ses appartements, Calixte s’enfuit dans le hall, trouva dans les poches du manteau de son frère un paquet de cigarettes dans lequel il piocha sans le moindre scrupule, avant de sortir dans la véranda abritée, et éclairée, aérée malgré la pluie, protectrice malgré la nuit. D’un mouvement qu’il faisait bien moins souvent qu’Edward, Calixte alluma une cigarette et souffla un peu de nicotine, en fermant les yeux. Pour se calmer. Ca avait été une grossière erreur que de venir, que de rester même en voyant Edward. Car pour le moment, ce week-end n’était porteur ni de détente, ni de consolation et encore moins d’assurance. Pour le moment, ce week-end n’allait que de mal en pis et puisqu’il avait encore une nuit à survivre ici, une nuit qui allait, avec un peu de chance, héberger cris, hurlements et cauchemars, les choses ne risquaient pas de s’arranger. Calixte se mordit la lèvre, fit quelques pas dans la véranda, ignorant les plantes et les fauteuils pour juste tracer un chemin songeur visant à canaliser, à défaut de dissiper, sa nervosité. Derrière lui, la porte s’ouvrit. Maman, certainement. Calixte ne prit même pas la peine de se retourner. Je vais bien, Maman, ne vous inquiétez pas. Un peu de fatigue, et… Sa voix se perdit, étranglée. Ce n’était pas Maman. Edward. Calixte foudroya son frère, s’enferma dans sa nonchalance forcée et son détachement aussi pénible que fragile. Il désigna la cigarette. Merci pour l’attention, avant d’inspirer profondément. Papa t’envoie me chercher, je présume. Tu peux lui dire que je me passerai de dessert.

 
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Ven 1 Juin - 23:38
Edward T. Seymour
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Certains jours, Edward aurait rêvé pouvoir claquer des doigts et faire disparaître son frère de la surface de la Terre. Ces jours-là, il avait le sentiment que faire cela aurait rendu un fier service à l'humanité. Et puis le lendemain, il aurait souhaité pouvoir parler à Calixte, s'entendre avec Calixte, pouvoir lui confier ses incertitudes... ces jours-là, il se sentait effroyablement seul et regrettait de ne plus avoir l'entente fusionnelle qu'il avait avec son petit frère lorsqu'ils étaient enfants. Mais c'était trop tard, assumer leur mésentente était bien plus simple que de tenter de revenir en arrière, quand bien même en auraient-ils eu envie. C'était trop tard et ce n'était pas un repas en famille qui viendrait changer les choses. La belle nappe brodée à la main par une obscure ancêtre de la famille, l'argenterie gravée avec les armoiries de la famille, la porcelaine immaculée, les verres en cristal... ces choses-là ne changeaient pas, alors pourquoi Edward aurait-il dû faire des efforts pour changer son comportement à l'égard de son frère ? Pourquoi aurait-il dû céder à l'inquiétude qu'il ressentait alors qu'Elizabeth évoquait la jeune Kaisa Howard ? Au fond, une partie de lui persistait à vouloir protéger Calixte des monstres qu'il y avait au dehors, des démons qu'il avait lui-même invoqués en tuant Aby et qui ne cessaient, depuis, de le hanter. Edward voulait à tout prix protéger son frère d'une remise en question car il savait d'ors et déjà que Calixte ne serait pas en mesure de s'en relever. Du moins pas tout seul. Pourtant, le cadet répondit à sa mère avec un ton remarquablement léger. Tournant les yeux vers son père, Edward l'interrogea du regard. Quel était donc ce brusque rappel à l'ordre ? George se contenta de lui désigner son assiette du regard, le laissant mariner dans une ignorance qui exaspérait Edward au plus haut point. Silencieux, il entrepris d'obéir à son père, n'écoutant qu'à moitié ce que disait Calixte, du moins jusqu'à ce qu'il parle d'inviter Kaisa. La main d'Edward se figea, il jeta un regard à son frère, secoua légèrement la tête et lui donna un coup de pied sous la table. C'était une mauvaise idée. Une très, très mauvaise idée. Malgré les apparences, Edward connaissait son frère, il savait que ce que Calixte cherchait, ce n'était pas la compagnie de Kaisa mais celle d'une femme ressemblant terriblement à son amour disparu. Fréquenter la jeune femme, c'était se complaire dans les rêve, s'abandonner au désespoir et la faire souffrir par la même occasion. Aby était morte, c'était un fait irréfutable et si Calixte avait son sang sur les mains du fait de l'avoir tuée, Edward avait participé à lui creuser une tombe. Combien de fois faudrait-il qu'il répète à son frère qu'il fallait qu'il avance plutôt que de s'enraciner auprès d'une fosse grossière où pourrissait les cadavres de ses échecs les plus cuisants ? Combien de temps son frère s'enfermerait-il dans son déni plutôt que de chercher à s'en détourner.

Mais comme toujours, Calixte préféra la fuite. Il se leva et, malgré le rappel à l'ordre de leur père, il s'éclipsa. Agacé, George reposa lourdement sa fourchette dans un tintement de métal et se tourna vers son aîné.

« Bon sang, mais qu'avez-vous, tous les deux ? Vous êtes plus imbuvables que jamais ! »

Edward serra les poings. Lorsqu'ils étaient en tête à tête, son père ne cessait de le couvrir de compliments, de louanges et autres gratifications qui lui assuraient la fidélité de son aîné mais dès lors qu'il était question de sa relation avec Calixte, les termes insupportables, imbuvables et horripilants avaient tendance à se faire plus nombreux que les compliments.

« Il faut croire que la maladie vous aveugle, père. Souvenez-vous de notre accord... »

Edward lui jeta un regard appuyé tandis que George serrait les poings à son tour. Pour la première fois, Edward avait le dessus sur son père et c'était une chose dont il entendait bien profiter. Il avait demandé à son père de laisser Calixte respirer, ce n'était pas pour qu'il vienne tout gâcher dès le repas. Sous le regard incrédule de sa mère, Edward se leva, posa sa serviette de table et pris congé à son tour. Tandis qu'il se dirigeait vers le salon, il entendit sa mère assaillir son époux de questions qui restèrent sans réponses. Les mains dans les poches de son costume, Edward chercha son frère dans le petit salon, la bibliothèque, jusqu'à ce qu'il tombe sur Stephen, le majordome, qui lui raconta avoir vu Calixte se diriger vers la véranda. Lorsqu'il y fut, Edward haussa un sourcil en entendant son frère l'accueillir comme s'il était leur mère.

« Un peu de fatigue, hein ? Tu devrais voir ta tête... », cracha-t-il d'un ton désagréable.

À son tour, Edward tira de sa poche un paquet de cigarette et une briquet pour se joindre à son frère dans cet entretien constant d'un cancer qui finirait forcément par pointer le bout de son nez. Haussant les épaules tandis que la fumée dessinait autour de son visage un halo blanchâtre, Edward désigna la cigarette que tenait son frère.

« Ne me remercie pas, je n'ai jamais eu l'intention de t'en proposer une et... ce n'est pas père qui m'envoie. »

Edward se détourna, avisa un fauteuil de velours bleu marine et s'y installa nonchalamment.

« Il commence à se poser des questions. Il demande ce qu'il se passe, se demande également pourquoi tu as l'air si troublé... et que puis-je lui répondre, sinon un mensonge ? »

Ce n'était pas un secret, du moins ça ne l'était plus pour bien des Veilleurs, que Calixte avait assassiné une Howard après avoir découvert sa mutation. Seulement, George avait bien du mal à admettre que Calixte ne s'en soit jamais remis et continue à voir le visage de sa défunte compagne dans pratiquement tous ses cauchemars.

« Il est persuadé que tu es passé à autre chose depuis longtemps et tu sais comment il est. Il ne comprendra pas que tu sois à ce point... perturbé. Tu sais comment ça s'est terminé, la dernière fois qu'il a pris conscience de tes peurs... »

Calixte avait passé la nuit dehors. Mais cette fois, Edward était venu lui tenir compagnie, le rassurer... cette fois, il n'était pas certain d'avoir l'envie ni l'occasion de soutenir son frère. Pas après la conversation qu'ils venaient d'avoir. Alors il se leva, écrasa le mégot de sa cigarette dans un cendrier et s'approcha de son frère pour lui faire face, profitant de la dizaine de centimètres qui les séparait pour le regarder de haut.

« Ce fantôme avec lequel tu dors, te complais et qui te hante depuis huit ans, il va falloir que tu lui fasses la peau. »

C'était cruel, direct et volontairement froid comme approche, mais Edward désapprouvait totalement l'utilisation abusive de la douceur dans ce genre de situation. Calixte avait besoin de voir la réalité en face et de s'y confronter, qu'il le veuille ou non.

« Si tu veux être digne de cette fierté paternelle que tu m'envies tant, il va falloir que tu abandonnes le petit trouillard de huit ans qui tient les rênes pour enfin te comporter comme un adulte, Henry. Et n'essaye même pas de te défouler sur moi car tu sais très bien que je ne suis pas responsable de tes angoisses. J'ai essayé de t'aider, tu n'en as jamais voulu alors maintenant, je me contente de te dire les choses telles qu'elles sont. Tu es un poltron qui se contente de survivre entouré de monstres. C'est pitoyable. »

Qu'il s'active, qu'il se bouge, qu'il fasse quelque chose, mais qu'il cesse de rester figé dans cette éternelle angoisse qui lui donnerait à jamais des allures d'enfant immature.

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Ven 22 Juin - 22:17
H. Calixte Seymour
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Calixte était ce qu’on pouvait appeler un fumeur anecdotique. Même occasionnel. Il ne fumait pas régulièrement, bien au contraire, ses lèvres ne pinçaient de la nicotine qu’à l’occasion de soirée, de dîners mondains ou de réunions particulièrement tendues avec des clients réfractaires, comme pour mieux détendre l’atmosphère et instaurer un climat plus prompt à la négociation. Négociations. Lorsqu’il se détourna de sa contemplation des plantes et des fauteuils de la véranda pour plonger son regard dans l’intrus qu’il pensait être Maman et qui s’avéra, bien au contraire, être Edward, il comprit que cigarette ou pas, nicotine ou pas, nulle négociation n’allait être possible. Les deux frères étaient à couteaux tirés ; la hache de guerre, loin d’être plongée dans une terre aveugle, se tenait entre leurs mains et ne semblait ne souhaiter qu’une chose : se mettre en mouvement, blesser, heurter, trancher et s’enivrer du sang du vaincu et de l’agonie d’une fraternité déjà salement amochée par les années. La crispation des épaules de Calixte fut contrebalancée par sa voix, moqueuse, voulue légère et détachée, tout en cherchant à deviner la raison exacte de la présence d’Edward. Si ça avait été Maman, l’inquiétude aurait été de mise. Si ça avait été Papa, la colère et l’agacement auraient eu droit au devant de la scène. Mais Edward ? Allait-il se heurter à de la condescendance moqueuse, ou à la piété et l’obéissance du fils aîné envers le patriarche ? « Un peu de fatigue, hein ? Tu devrais voir ta tête... » Calixte se crispa un peu plus, pinça les lèvres, s’enveloppa une nouvelle fois de désinvolture, comme pour faire comprendre à son frère qu’il n’allait pas se laisser atteindre aussi facilement cette fois. Bien au contraire. D’une voix amusée, il remierca avec insolence la cigarette volée, tandis qu’Edward le rejoignait. « Ne me remercie pas, je n'ai jamais eu l'intention de t'en proposer une et... ce n'est pas père qui m'envoie. » Un haussement d’épaules, léger, léger. C’est bien pourquoi je ne t’ai rien demandé. Pas demandé l’autorisation de se servir, pas demandé de soutien. Calixte suivit du regard Edward qui s’installait dans un fauteuil, préféra rester debout pour le moment. Se surprenant à souhaiter que le silence se poursuive, qu’ils n’en viennent pas une nouvelle fois aux mains, aux poings, qu’il ne se retrouve pas une nouvelle fois en position de perdre une bataille. Un souhait utopique, que la voix d’Edward piétina sans lui laisser ne serait-ce que le temps d’exister.

« Il commence à se poser des questions. Il demande ce qu'il se passe, se demande également pourquoi tu as l'air si troublé... et que puis-je lui répondre, sinon un mensonge ? » Calixte ferma les yeux. Des questions sur quoi ? La santé mentale de son cadet ? Le ton de Calixte se fit sarcasme, désillusion et résignation. Acerbe, acide : Papa avait grandement consommé son crédit de patience, ces dernières heures, Calixte ne parvenait plus à être poli, patient, respectueux voire obéissant. La cigarette se consuma un peu plus sous son inspiration, bords grignotés de braises. « Il est persuadé que tu es passé à autre chose depuis longtemps et tu sais comment il est. Il ne comprendra pas que tu sois à ce point... perturbé. Tu sais comment ça s'est terminé, la dernière fois qu'il a pris conscience de tes peurs... » Ses poings se fermèrent, contractés, sans même qu’il ne s’en rende compte dans l’immédiat. Il se força à respirer, à se décontracter. Se mordit même la lèvre pour se contraindre au silence le temps de choisir ses mots. Il a pourtant lui-même ouvert le chéquier pour me payer les séances chez le psy, me foutre en désintox, après ça. Et si neuf ans après, Calixte payait lui-même le suivi dont il faisait encore l’objet, toujours chez la même pédopsychiatre qui avait tenté de dissiper ses terreurs nocturnes après ses dix ans, il n’avait jamais envisagé que Papa les ignore. Que Papa le pense guéri, indemne. Tu sais comment ça s'est terminé, la dernière fois qu'il a pris conscience de tes peurs.. Calixte frissonna, se murmura à lui-même un amer Et qu’est-ce qu’il pourrait bien faire, cette fois, me forcer à déterrer le cadavre d’Abi et le regarder dans les yeux ? qu’Edward n’avait pas à commenter. Calixte considéra du bout des doigts la cigarette à moitié consommée, souffla un filet de fumée pour mieux le regarder se dissiper dans l’air. La dernière fois que Papa en avait eu assez des terreurs de son fils, il l’avait forcé à les regarder en face, sans se soucier que Calixte ait, ou non, les épaules pour encaisser tout ça. Et sa peur, déjà ancrée, s’était renforcée, densifiée, pour imprégner chaque cellule de son organisme, une terreur qu’il n’était plus capable d’éradiquer aujourd’hui, s’il en avait un jour été capable, d’ailleurs. Un mouvement attira son regard, Calixte leva, détesta lever les yeux vers son frère qui le surplombait, orphelin de sa clope trop vite consommé. Quelque chose lui chuchotait qu’il n’allait pas aimer la suite, mais il se força à ne pas détourner le regard. A ne surtout pas flancher. Il préféra faire un pas en arrière, pour amoindrir cette différence de taille qui le rabaissait systématiquement.

« Ce fantôme avec lequel tu dors, te complais et qui te hante depuis huit ans, il va falloir que tu lui fasses la peau. » Sa mâchoire finement dessinée se contracta. Elle est déjà morte. opposa-t-il en vain, une défense bien maigre à une agression incisive de cinglante de vérité. De lucidité. « Si tu veux être digne de cette fierté paternelle que tu m'envies tant, il va falloir que tu abandonnes le petit trouillard de huit ans qui tient les rênes pour enfin te comporter comme un adulte, Henry. Et n'essaye même pas de te défouler sur moi car tu sais très bien que je ne suis pas responsable de tes angoisses. J'ai essayé de t'aider, tu n'en as jamais voulu alors maintenant, je me contente de te dire les choses telles qu'elles sont. Tu es un poltron qui se contente de survivre entouré de monstres. C'est pitoyable. » Il avait du mal à respirer, Calixte. Il avait beau avoir pressenti qu’il n’apprécierait pas les mots d’Edward, ça allait au-delà, bien au-delà de ses prévisions. Chaque phrase était un coup de feu tiré à bout portant, chaque phrase était une balle trouvant sa cible, la perforant pour la réduire en charpie. Le fait même de soulever la poitrine était douloureux. Le fait même de rester immobile et de ne pas ciller était douloureux. Quant à la concentration de Calixte pour se murer dans une impassibilité feinte, elle s’apparentait à de la lave en fusion, consommant à grande vitesse sa volonté pour la réduire en cendres. N’essaye même pas de te défouler sur moi, voilà qui sonnait comme une invitation, une joue tendue pour se faire frapper, encore une fois. L’envie brutale de lui faire bouffer ses dents. De céder, vraiment, à la tentation de le frapper, encore et encore, pour qu’il se taise, finisse par se taire, finir par craindre ne serait-ce qu’aborder le sujet Abigaël en sa présence.

Calixte resta silencieux.

Recula, encore un peu.

Je me suis peut-être trompé. Tu es bien le digne héritier de Papa, aussi aveugle, aussi… Où était le Calixte beau parleur, où était donc passé l’excellent orateur qui tenait tête à tous ceux qui faisaient la folie de le chatouiller ? Les mots lui échappaient, ses pensées se désordonnaient. Je pensais me marier avec elle. Je nous voyais déjà mariés, je me sentais prêt à être père, prêt à changer, prêt à… Je l’aimais plus que tout, et tu le savais, à l’époque. Je voulais m’endormir en la tenant dans mes bras, me réveiller dans les siens, tu as déjà ressenti ça, toi, peut-être ? Tu ne peux pas me demander de ne rien ressentir face à une fille qui lui ressemble autant. Calixte eut la détestable surprise d’entendre sa voix se briser de colère, fatiguée de vouloir hurler. Il secoua la tête, comme pour se reprendre, écrasa d’un geste rageur une cigarette inachevée dans le cendrier. Bordel, Ed ! C’est vers toi que je me suis tourné quand c’est arrivé. Tu étais le premier sur les lieux, c’est toi qui m’as laissé tomber ensuite. C’est Papa qui m’a rattrapé au bord du gouffre. Et c’est mon psy qui m’a aidé à tourner la page. Est-ce qu’il a anticipé qu’il allait devoir m’aider à faire face au sosie d’Abi ? Non. Est-ce que je sais comment… Calixte se mordit la lèvre. Fort, trop fort. Mais ça n’empêcha pas des larmes de se former.

Je sais que je joue avec le feu, avec la petite Howard. Mais qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Abi me manque, terriblement. Elle me manque tous les ans à cette période, elle me manquera encore plus en juin, et il faudra que je continue à faire comme si ce n’était pas à cause de moi qu’elle était morte, parce que personne ne doit jamais le savoir. Et ce sera ça tous les ans, jusqu’à ma mort. Tu crois que j’arrive pas à avancer ? J’ai arrêté de vomir de dégoût tous les matins en me regardant dans la glace, j’ai arrêté de détourner les yeux quand je croise ma cicatrice, j’ai arrêté de trembler en tenant une arme à feu, et j’ai même repris les entraînements en dojo?. Et j’ai arrêté de m’imaginer en train de me foutre une balle dans le crâne pour effacer tout ça. J’suis un trouillard, c’est ça ? Et bien abats donc celle que tu aimes plus dans le dos, et on reparlera de comment gérer tout ça. En attendant, tu ne peux pas comprendre, et tu ne peux pas juger ! Les derniers étaient des cris. Des cris de rages. De colère. De fatigue, inévitablement des cris de fatigue. Il n’avait pas menti, un peu plus tôt, en prétextant la fatigue. Tu n’as pas le droit de me juger, Edward. Pas quand à la première occasion, tu me jettes ça à la gueule. Calixte rajouta, d’une voix rendue acide par l’amertume. Tu crois que ça aide à faire le deuil ? Tu crois vraiment qu’en claquement de doigts, ça s’arrange ? Ses doigts claquèrent quand il les évoqua. Tu me dégoûtes, tu me dégoûtes avec ton apathie, tu me dégoûtes quand tu te comportes comme ça. J’ai pas besoin d’un jugement, j’ai besoin qu’on me rende Abigaël, ou d’un frère qui me soutienne, pas qui me saborde à la moindre occasion parce qu’il me méprise. Tu crois que je n’ai pas assez de Papa qui me traite de catin, mais que dans la même journée, on m'affuble le qualificatif de trouillard ? C’est quoi la suite ? Maman qui débarque pour me qualifier de… de… Manque d’inspiration. de traitre aux Veilleurs et Leopold qui en rajoute une couche en m’accusant d’être suicidaire, c’est ça ? Il secoua la tête, encore. Pris une décision sur un coup de tête. C’en est assez, si c’est pour faire une terreur nocturne cette nuit et supporter votre mépris demain matin, je rentre dès ce soir à Killingworth.

Ridicule : Calixte était incapable de conduire de nuit. Mais honnêtement, il n’arrivait pas à déterminer ce qui était le pire entre passer la nuit ici, et s’enfoncer dans les routes d’Angleterre à cette heure indécente.

 
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Jeu 5 Juil - 18:00
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edward & calixte






Généralement, c'était simplement l'agacement, qu'Edward éprouvait en présence de son frère, tant celui-ci, dans tous les aspects de sa misérables existence de débauché, semblait prendre un malin plaisir à titiller son aîné pour le faire sortir de ses gonds. Aussi Edward s'était-il fait la promesse de ne jamais donner raison à son frère mais ces derniers temps, il réussissait de plus en plus à le faire enrager. Seulement, cette fois, ce n'était ni un agacement teinté de mépris ni une rage incandescente qui animait Edward mais bien une colère froide, sourde, qui battait au rythme tranquille de son cœur tandis qu'il résistait à la tentation d'arracher la cigarette des mains de son frère pour la lui planter dans l'œil et le forcer à se réveiller. Voir Calixte s'enfermer dans des illusions et de doux rêves insupportait Edward qui faisait tout son possible pour le forcer à ouvrir les yeux. On pouvait le traiter de cruel mais Edward ne sentait en paix avec lui-même car s'il était froid et exigeant avec son frère, c'était pour son bien. La vérité, la cruelle vérité, c'était qu'Edward craignait plus que tout de voir son frère sombrer définitivement dans une folie latente causée par le remord. La seule chose qu'Edward s'était jusque-là retenu de dire à son frère, c'était qu'en l'observant bien, on se rendait vite compte qu'il n'avait jamais plus aimé Abi que depuis qu'elle était morte. C'était la culpabilité qui donnait à Calixte l'impression de se mourir d'amour pour elle, Edward en était persuadé. C'était peut-être aussi pour cela qu'il redoutait plus que tout le jour où lui-même serait confronté à une telle situation... Edward ne voulait pas voir le visage d'un mutant le hanter pour le restant de ses jours s'il se retrouvait contraint à tuer.

Alors Edward soupira face à la mauvaise foi de son frère. Oui, George avait ouvert le chéquier pour lui payer des séances effroyablement onéreuses chez un psy renommé, oui il lui avait une cure de désintox pour gens pourris gâtés, oui, oui et encore oui... mais force était de constater que rien de tout cela n'avait fonctionné car Calixte était encore malade. C'était comme l'avoir vacciné contre la rage alors qu'il aurait été atteint d'un bête rhume... bête mais insidieux, persistant et récidiviste. À ce stade, Edward se demandait si la seule solution viable n'aurait pas été que Calixte tombe enfin amoureux d'une autre femme mais cette hypothèse lui paraissait tellement surréaliste qu'il l'avait depuis longtemps écartée. Ne s'engager avec personne, s'interdire le moindre sentiment, ce devait être une façon pour lui d'honorer la mémoire d'Abi et surtout de se protéger lui-même contre un nouveau traumatisme. Edward comprenait la logique de son frère, ou du moins il comprenait ce qu'il en voyait, mais il ne pouvait l'approuver. Il était simplement certain que son frère finirait par s'autodétruire en refusant d'avancer.

Edward resta silencieux lorsque son frère répliqua, plein de mauvaise foi, que de toute manière, leur père ne pouvait plus rien faire de pire. C'était faux. George serait toujours capable de bien pire pour s'assurer que son fils remonte la pente. Edward en venait à se demander si son père n'aurais pas été capable de profaner la tombe pour l'arroser d'essence et mettre le feu aux restes de la jeune femme pour vacciner définitivement Calixte, quitte à se le mettre définitivement à dos. Aussi, plutôt que d'imaginer une seule seconde cette hypothèse se réaliser, Edward se leva, se planta devant son frère et lui asséna des mots d'une dureté à faire pâlir mais qui lui semblaient nécessaires.

Et Calixte recula. D'abord d'un pas, puis de deux, mais Edward ne flancha pas. Il garda ses yeux clairs et froids figés dans ceux de son frère sans le moindre remord. Du moins, en apparence, car Edward ne se comportait pas de la sorte par amusement ou pur sadisme, ça non. Il savait simplement qu'à trop le caresser dans le sens du poil, Calixte se confortait dans des vérités déformées alors que face à la méchanceté pure et dure, il était contraint de réagir. Malgré son apparente insensibilité, Edward serra les poings. Ce n'était pas lui, l'aveugle, mais bien son frère, incapable de voir que sous l'épaisse couche de méchanceté en apparence gratuite, il y avait une sollicitude maladroite et mal gérée par son aîné. Pourtant, Edward garda le silence, laissant Calixte dérouler son monologue d'une voix qu'il se brisait par moments. Il resta silencieux au prix d'efforts surhumains, surtout lorsque son frère sous-entendit que jamais Edward n'avait éprouvé ce genre de chose. Certes, pas d'une manière aussi forte, pas de sentiments aussi aboutis, mais ce n'était pas pour rien que son cœur s'emballait en présence de Rosamund. Dans son for intérieur, Edward aurait aimé qu'elle soit celle à côté de laquelle il s'endormirait le soir, celle qui lui sourirait au réveil, celle avec qui il traverserait les joies et les peines... Edward avait étouffé ses sentiments avant même d'avoir essayé de les exprimer, contrairement à Calixte. Mais contrairement à lui, aussi, il n'aimait pas une mutante mais bien une humaine. Alors si, Edward connaissait ces sentiments, à sa manière.

Edward serra d'autant plus les poings lorsque Calixte lui asséna qu'il l'avait laissé tomber. Aux yeux de l'aîné, ce n'était qu'en partie vrai. Il avait eu ses propres problèmes à gérer, du vieux Howard qui avait fait jurer à George que Diana et lui se marieraient à ses échecs face à Rosamund, Edward s'était délesté du fardeau de son frère et d'une certaine manière, il le regrettait. Seulement, comment aurait-il pu l'aider quand seul un psy ou la drogue le pouvaient ? Edward n'aurait rien pu faire. Mais une fois de plus, il laissa couler car Calixte n'avait pas terminé de parler. Surtout... il n'avait pas encore avoué avoir songé au suicide. La révélation fit mal, bien plus mal à Edward qu'il ne l'aurait cru et il dégluti difficilement tout en se forçant à ne pas fissurer son imperturbable masque. La violence des reproches ne pouvaient que le toucher et si Edward savait que son frère lui crachait au visage ce qu'il se reprochait, ce qu'il lui reprochait et ce qu'il reprochait à leur père de façon pêle-mêle, il ne pu s'empêcher de prendre accusations pour lui, comme autant de coups de poignard enfoncés dans sa chair. Et lorsque Calixte se tut enfin et tenta de s'éclipser, Edward l'attrapa fermement par le bras pour l'empêcher de partir. Alors, sans un regard cette fois pour le petit frère hystérique et perdu, Edward entama son propre monologue avec beaucoup plus de retenue.

« Tu n'iras nulle part, espèce d'idiot. Si tu prends le volant maintenant, tu vas faire une crise panique au premier virage et je n'ai pas envie d'enterrer un frère demain. »

La voix s'était faite tremblante et la poigne s'était un peu plus resserrée sur le bras du petit frère.

« J'en ai marre, si tu savais comme j'en ai marre... ça te fait mal de constater que Kaisa ressemble à Abigaël ? Et elle, tu t'es demandé ce qu'elle ressentirait si tu l'appelais Abi, si tu attendais d'elle qu'elle soit comme Abi, si tu en devenais fou au point de calquer son fantôme sur une fille qui ne t'a rien fait ? Bon sang, Cal, ça suffit, il est temps que tu arrêtes. Tu vas lui faire du mal et tu auras l'impression d'appliquer un baume apaisant sur ton cœur mais en réalité, tu ne vas faire qu'attiser plus encore ta douleur. J'ai l'impression que tu ne veux pas aller mieux. »

En disant ces mots, il releva les tête et plongea son regard dans celui de Calixte à la recherche d'une lueur ou d'un plissement des yeux qui lui donneraient raison.

« Tu te complais dans cette situation parce que tu as l'impression de faire pénitence, je me trompe ? En te flagellant, en t'interdisant d'être heureux, tu as le sentiment de racheter sa mort, peut-être ? Mais ça ne la fera pas revenir, bon sang, elle est morte ! Morte et enterrée, c'est triste, c'est malheureux, c'est affreux mais c'est ainsi ! Tu pourras ressassé les événements autant de fois que tu le voudras, tu m'as affirmé des centaines de fois que tu n'avais pas eu le choix. Si le gymnase, les enfants et toi aviez pris feu, la sentence aurait été la même à un détail près. J'aurais perdu mon frère. Et traite-moi d'égoïste, d'hypocrite ou ce que tu veux, je préfère te savoir en vie et en train de m'emmerder plutôt que dans une urne au-dessus de la cheminée. »

Se rendant compte qu'il devait lui faire mal, Edward lâcha le bras de Calixte et arpenta la pièce en se passant une main nerveuse dans les cheveux.

« Tu veux que je te soutienne ? Alors ne compte pas sur moi pour te tapoter l'épaule en te disant que tu as raison de te comporter ainsi. Ce n'est pas mon rôle. Je m'en fiche si je te dégoûte mais je n'arrêterai pas, Cal. Je refuse de te laisser mourir à petit feu sous les remords, je refuse de te voir t'enfermer dans le passé et il est hors de question que je ne te botte pas le cul pour que tu avances. Sors de ta petite sphère de confort, rencontre des gens comme tu sais si bien le faire et merde... apprends à te pardonner... Ce n'est pas à Abi de faire ça, ce n'est pas à ses parents non plus. Le seul qui puisse te pardonner, c'est toi, et tant que tu t'y refuseras, tu continueras à souffrir sans cesse. »

Edward s'approcha à nouveau de son frère, mais la froideur de son regard acier avait laissé place à de la lassitude pure et dure.

« Tu te trompes. Je ne suis pas papa. Il voudrait annihiler ce que tu as vécu ce jour-là, moi je veux simplement que tu apprennes à vivre en paix avec. Oui, c'est difficile, oui ça sera long... mais arrête de nous accuser, père et moi, quand toi aussi tu es un peu responsable de ton état actuel. Alors pour l'amour du ciel, trouve-toi une nana capable de te supporter et t'épauler dans cette affaire car je ne vois pas d'autre moyen pour te guérir. Ce n'est pas mon rôle et tu le sais... »

Son rôle à lui, c'était de le bousculer, de le pousser à sortir la tête du sol mais pour la suite... il doutait que Calixte soit capable d'avancer tout seul sur un chemin aussi chaotique. Des jeunes filles respectables et issues de nobles familles, il y en avait des dizaines dans leur entourage. Tant qu'il ne s'entichait pas de Sixtine Percy, Edward était même prêt à le pousser dans les bras de la première « fille de » venue, pour peu que cela rende à son frère son intégrité. Pour l'heure, il avait plus l'impression de voir un puzzle incomplet et mal assemblé.

« Il est tard, tu es fatigué... tu devrais aller te coucher. », ajouta-t-il dans un soupir.

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Ven 27 Juil - 0:29
H. Calixte Seymour
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We are wasting his time

   edward & calixte
 
 
 
Quand Calixte cédait à la colère, surtout face à son frère, il cédait non seulement sur l’ensemble de ses principes, mais il cédait également sur sa retenue habituelle. Et de sa bouche s’échappait une logorrhée qu’il regrettait systématiquement. Cette fois-ci n’y fit pas exception, lorsque Calixte acheva sur une ineptie sans le moindre sens – prendre la voiture à cette heure-là, lui qui avait déjà des sueurs froides lorsqu’il s’agissait de passer sous un tunnel, revenait à avoir des envies suicidaires – et qu’il se rendit compte, rétrospectivement, de tout ce qu’il avait pu dire. Il était étrange, même, de se rendre compte d’une choses : si Edward était l’une des personnes contre laquelle Calixte était le plus en colère, constamment, pour des raisons aussi justifiées qu’immatures, infantiles et acceptables, il était également celui qui en savait le plus sur son petit frère, celui vers lequel Calixte se tournait constamment au moindre problème, dans ce réflexe inculqué par Papa depuis sa plus tendre enfance, comme un mantra apaisant, ce ton frère saura résoudre tous tes problèmes, quels qu’ils soient répété encore et encore. Edward avait en main tout ce qu’il fallait pour détruire Calixte, et tout ce que le petit frère parvenait à cacher à son aîné était révélé au grand jour comme le vent pouvait balayer un fétu de paille pour en découvrir les cachotteries qu’il pouvait renfermer. Comme si Calixte ne pouvait tout simplement pas s’empêcher de se confier à ce grand frère qui représentait un mélange de tout ce que Calixte pouvait mépriser et envier en même temps.

Quand Calixte menaça de partir, il se rendit compte de tout ce qu’il avait avoué sans le vouloir, porté par la colère et toutes ces émotions silencieuses qu’il avait pu garder pour lui jusque-là, dans l’intimité de ses rendez-vous avec son psychologue, dans l’intimité de ces rendez-vous de plus espacés dans le temps, qu’il n’assumait plus, dont il ne voulait plus, qu’il ne supportait plus et encore moins depuis qu’il avait eu l’occasion de permettre à deux femmes différentes de s’immiscer dans sa vie jusque-là cloisonnée à tous ces genres de situation. Avait-il déjà confié à Edward avoir sérieusement songé au suicide après la mort d’Abigaël ? Avait-il déjà eu l’occasion de verbaliser devant son frère ce dégoût, constant, qu’il pouvait avoir de lui-même dès que son regard croisait cette chair trop brillante, bien marquée de cicatrice, qui subsistait sur son côté ? Il en doutait. Et il regrettait tellement, à cet instant, de s’être laissé aller à la colère, à l’absence de contrôle, à l’absence de prudence. Parce que tout aveu se transformait en arme, dans les mains d’Edward, il le lui avait prouvé quelques semaines auparavant, il le lui prouvait encore maintenant, à se moquer, à l’agresser, à le piétiner devant Papa, à se jouer de lui pour l’humilier, comme si le duc de Somerset ne savait pas déjà s’en charger de la façon la plus cruelle qu’il soit.  

Quand Calixte menaça de partir et qu’Edward le retint presqu’aussitôt, dans le regard violent qu’il lui lança, Calixte se surprit à regretter. A regretter de voir leur relation s’être à ce point distendue au fil des ans, à regretter de voir à quel point la liqueur douce de leur enfance complice s’était transformée en vin aigre et âcre, imbuvable et bon à être jeté. Rien, il ne restait rien de leur ancienne entente, il ne restait que les lambeaux de leur enfance, de leur jeunesse, il ne restait que les ruines que le temps avait participé à réduire en pièces, il ne restait que la colère, si brûlante, et les mains qui tremblaient de rage : d’un mouvement trop mou pour être efficace, Calixte tenta de se dégager de la poigne de son frère, tout en le mettant au défi de rétorquer quoique ce soit. Défi qu’Edward ne put que relever, bien évidemment : « Tu n'iras nulle part, espèce d'idiot. Si tu prends le volant maintenant, tu vas faire une crise panique au premier virage et je n'ai pas envie d'enterrer un frère demain. » Les dents serrées, l’évidence d’années de conflits se faufila dans un sarcasme craché d’amertume, Oh, je t’en fais pas, Papa s’occupera de la paperasse, tu peux dormir sur tes deux oreilles., sans que Calixte n’ait pour autant le courage de s’enfuir et de mettre immédiatement sa futile menace à exécution.

« J'en ai marre, si tu savais comme j'en ai marre... ça te fait mal de constater que Kaisa ressemble à Abigaël ? Et elle, tu t'es demandé ce qu'elle ressentirait si tu l'appelais Abi, si tu attendais d'elle qu'elle soit comme Abi, si tu en devenais fou au point de calquer son fantôme sur une fille qui ne t'a rien fait ? Bon sang, Cal, ça suffit, il est temps que tu arrêtes. Tu vas lui faire du mal et tu auras l'impression d'appliquer un baume apaisant sur ton cœur mais en réalité, tu ne vas faire qu'attiser plus encore ta douleur. J'ai l'impression que tu ne veux pas aller mieux. » Il est temps que tu arrêtes, Calixte soutint sans ciller le regard de son frère, imperméable, complètement imperméable à tout ce qu’Edward pouvait lui dire. Il était temps qu’il arrête, certes, mais il avait essayé. Sincèrement, il avait essayé de se libérer, de se libérer de l’emprise nostalgique et douloureuse, corrosive, toxique, qu’Abigaël pouvait avoir sur lui. Mais tous ses efforts avaient volé en éclat sous la silhouette de Kaisa, sous l’ivresse et la saveur sucrée des lèvres de la violoncelliste qu’il ne parvenait pas à chasser totalement de son esprit, tous ses efforts avaient volé en éclats quand il s’était retrouvé pris au piège entre ce qu’il n’avait plus, et ce qu’il ne pouvait pas avoir. Il fallait qu’il arrête, peut-être, mais… Lâche moi, Edward.. Il en était incapable. Et il était incapable, également, d’entendre son frère. « Tu te complais dans cette situation parce que tu as l'impression de faire pénitence, je me trompe ? En te flagellant, en t'interdisant d'être heureux, tu as le sentiment de racheter sa mort, peut-être ? Mais ça ne la fera pas revenir, bon sang, elle est morte ! Morte et enterrée, c'est triste, c'est malheureux, c'est affreux mais c'est ainsi ! Tu pourras ressasser les événements autant de fois que tu le voudras, tu m'as affirmé des centaines de fois que tu n'avais pas eu le choix. Si le gymnase, les enfants et toi aviez pris feu, la sentence aurait été la même à un détail près. J'aurais perdu mon frère. Et traite-moi d'égoïste, d'hypocrite ou ce que tu veux, je préfère te savoir en vie et en train de m'emmerder plutôt que dans une urne au-dessus de la cheminée. » Calixte voulut dégager son poignet pour mieux se boucher les oreilles, pour ne plus entendre son frère qui avait raison, bien trop raison, mais pas suffisamment pour l’apaiser, pas suffisamment pour le soulager. Ta gueule, ferme-la, Eddie qu’il cracha du bout des lèvres, sentant les larmes poindre à ses paupières sans qu’il ne puisse les retenir. Tout en ne tolérant pas une seule seconde leur présence.

Edward le lâcha, Calixte, à bout de force, eut un instant l’espoir qu’ils en finiraient sur ces mots, ces mots auxquels il n’avait ni réponse, ni envie de répondre. « Tu veux que je te soutienne ? Alors ne compte pas sur moi pour te tapoter l'épaule en te disant que tu as raison de te comporter ainsi. Ce n'est pas mon rôle. Je m'en fiche si je te dégoûte mais je n'arrêterai pas, Cal. Je refuse de te laisser mourir à petit feu sous les remords, je refuse de te voir t'enfermer dans le passé et il est hors de question que je ne te botte pas le cul pour que tu avances. Sors de ta petite sphère de confort, rencontre des gens comme tu sais si bien le faire et merde... apprends à te pardonner… Ce n'est pas à Abi de faire ça, ce n'est pas à ses parents non plus. Le seul qui puisse te pardonner, c'est toi, et tant que tu t'y refuseras, tu continueras à souffrir sans cesse. Calixte frissonna, recula comme s’il s’était brûlé au contact de son frère. Le pardon, un bien vaste sujet qu’il n’aimait pas approcher, ne serait-ce qu’une seconde. S’était-il pardonné ? Il s’était enfermé dans une seule conviction : il n’avait pas eu le choix. Les parents d’Abi le lui avaient-ils pardonné ? Ils s’étaient, eux aussi, claquemurés dans une seule affirmation : il n’avait pas eu le choix. Mais était-ce suffisant ? Calixte se mordit la lèvre pour que la douleur l’empêche de déraper sur ce terrain-là. Pour l’empêcher de répondre, pour l’empêcher de s’emporter une nouvelle fois. Et l’empêcher de tenir des propos qu’il ne manquerait pas de regretter sitôt prononcés.

Seulement, se taire, c’était laisser à Edward le droit de poursuivre. « Tu te trompes. Je ne suis pas papa. Il voudrait annihiler ce que tu as vécu ce jour-là, moi je veux simplement que tu apprennes à vivre en paix avec. Oui, c'est difficile, oui ça sera long… mais arrête de nous accuser, père et moi, quand toi aussi tu es un peu responsable de ton état actuel. Alors pour l'amour du ciel, trouve-toi une nana capable de te supporter et t'épauler dans cette affaire car je ne vois pas d'autre moyen pour te guérir. Ce n'est pas mon rôle et tu le sais... » En effet, ce n’était pas son rôle. Parce qu’aux yeux de Calixte, sourd et enfermé dans son auto-flagellation, dans son incapacité à se pardonner, dans la même pièce que ses fantômes, à chercher tous les souvenirs possibles pour se lover dans les bras d’Abigaël, réentendre son rire, ses éclats de rire alors que plus rien de concret ne subsistait d’elle dans son environnement, aux yeux de Calixte, Edward ne l’aidait pas. Ne le soutenait pas. Ne l’épaulait pas. Et l’enfonçait, encore et encore, avec une méchanceté affectée et un plaisir sadique. Calixte était incapable d’admettre qu’Edward était tout au contraire celui qui l’aidait le plus, qui refusait de l’abandonner – contrairement à ce que Calixte pouvait affirmer – à la stagnation morbide d’un entre-deux, entre acceptation et nostalgie. Calixte était trop fatigué, trop borné, trop buté pour se rendre compte qu’Edward n’était pas similaire à Papa, qu’Edward tentait de le protéger.

« Il est tard, tu es fatigué... tu devrais aller te coucher. » Et encore une fois, Edward se fit plus lucide que son petit frère. Calixte ferma les yeux, chercha en vain une cigarette au bout de ses doigts pour s’asphyxier une nouvelle fois : le mégot agonisait dans le cendrier, hors de portée, et entreprit de se recomposer un manteau d’orgueil et de crédibilité. Le temps d’accepter sa défaite, et d’opiner du chef. Trop fatigué pour supporter plus longtemps tes conneries sans avoir à nouveau envie de te frapper, c’est une certitude. et de sa voix douloureusement contrôlée suintaient sans nulle doute le pus d’un abcès percé dans la violence. Un abcès qui faisait mal, mais que Calixte allait forcément devoir vider un jour pour parvenir à tourner définitivement la page. Pouvait-il se pardonner ce qu’il avait fait ? La main sur la poignée de la porte entrouverte, il en douta. Regarda Edward dans les yeux. Je le sais bien, que mon état actuel est de mon fait. Tout n’est toujours que de ma faute, n’est-ce pas ? Tout est toujours plus simple quand on se répète que c’est moi qui ai pris la décision de tirer, c’est moi qui ai continué de tirer. Toi, tu n’as fait que réparer et gérer mon merdier, Papa n’a fait qu’éteindre l’incendie et me maintenir debout, alors que je n’en avais aucune envie. Vous avez fait tout ce qu’il fallait pour gérer ça, vous êtes parfaits, autant l’un que l’autre, et si je suis incapable de me pardonner, c’est de ma faute, que de ma faute, c’est ça ? Calixte franchit la porte dans l’idée de partir sans demander son reste, secoua la tête et se tourna une dernière fois en direction d’Edward. Parfois, il n’y a peut-être pas de coupable à blâmer, juste des personnes malheureuses qui tentent par tous les moyens de continuer à avancer.

RP TERMINE

 
 by marelle  

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