Histoire de votre personnage

Manoir des Howard, 1999

-Heather, passe-moi le thé, veux-tu ?
-Bien sûr grand-mère.

La petite lui obéit sagement, un sourire poli, bien que crispé, aux lèvres. Elle ne se sent pas vraiment à sa place au Manoir familial. Frances la suit d’un regard implacable, cherchant la moindre faille dans son maintien, dans l’intonation de sa voix, son expression. Le vilain petit canard, l’erreur de parcours flagrante de Louciane. Mais Kaisa ne faiblit pas. Les commissures de ses lèvres remontent légèrement, dans une rare approbation. L’aristocrate ne porte pas particulièrement sa descendante dans son cœur. La fille d’une roturière, une honte. Et la plus jeune le sait parfaitement. Mais au lieu de courber l’échine face à la présence imposante de ses grand-parents, Kaisa garde une posture droite, presque assurée. La brune a rapidement intégré l’étiquette, elle ne peut lui enlever son étonnante capacité d’apprentissage. Cette intelligence derrière les iris vertes qui la fixe sans ciller.  Au fil des années, un étrange mélange de mépris et de respect a prit place dans son esprit à chaque fois que sa petite fille lui fait face. Celle qui a dépassé toutes ses espérances, loin de l’échec pathétique auquel elle s’attendait.  Quitte à ne pas apprécier la plus jeune, Frances aurait préféré la voir évoluer comme une véritable Howard, et surtout, s’assurer qu’elle n’apporterait pas plus de disgrâce sur leur nom. Dans les hautes sphères de la noblesse, la réputation possède une grande importance. Alors elle s’évertue à lui rappeler sa place, avec des remarques subtiles, mais suffisamment claires pour que Kaisa s’en rappelle et les intègre. Toutefois, son ton n’est pas aussi cassant qu’aurait pu être celui de Cecil.  Sauf qu’elle n’a malheureusement aucun pouvoir sur son éducation, pas avec Louciane qui lui fait barrage, l’empêchant d’agir à sa guise. Son fils qui semble d'ailleurs se retenir de déverser plusieurs remarques particulièrement cinglantes quant à la façon dont ils traitent sa progéniture. Mais elle sait aussi que sa patience ne durera pas éternellement.

-Kaisa, on rentre.
-D'accord papa. Je vous souhaite une bonne fin de journée, grand-mère, grand père.

Frances incline légèrement la tête en réponse alors que Cecil ne daigne même pas la regarder. Le mépris danse de nouveau dans le regard de la matriarche lorsqu'elle entend Louciane utiliser ce prénom. Qu'elle idée de donner ce nom à son enfant ?

Royal Victoria Infirmary, 2013

Son père se retrouve au bloc et pas pour une opération de routine. La phrase tourne en boucle dans son esprit. La brune venait de finir sa garde quand l’ambulance s’est garée devant les urgences. Elle l’a vu arriver, recouvert de sang, une blessure par balle. Pour une fois, elle hait sa mémoire. Car elle revoie exactement où se trouve la blessure, le teint livide de Louciane, et surtout, son cœur qui a menacé de lâcher en plein milieu du couloir. Son cerveau tourne à plein régime, imaginant les pires scénarios qui soient. Et s’ils perforent une artère en retirant la balle ? Si l’un de ses organes est trop endommagé ? La brune tâche de calmer sa respiration, se mordant la lèvre jusqu’au sang. Elle l’avait vu trop souvent dans ces chambres dans à son goût.

-Kai, tu devrais rentrer chez toi.
-Vas t'en.
-Tu as besoin de repos.
-J'irai me reposer quand le médecin viendra me dire que son état est stable. Pas avant. Alors, vas t'en.

Sa propre voix lui paraît étrangère, presque mécanique. Son expression reste fermée, froide, presque parfaitement maîtrisée. Depuis son enfance, on lui a appris à ne pas montrer sa peur, à ne pas s'effondrer devant un public autre que son père. Et là, à ce moment précis, elle applique ce principe de manière instinctive, pour se protéger, pour tenir debout, et surtout, pour ne pas faire une crise d'hystérie en plein milieu du couloir. Mais la lueur sauvage dans son regard ne trompe pas son collègue. Le pauvre malheureux qui essaiera de la déplacer en prendra pour son grade, avant qu'elle ne vienne se rasseoir au même endroit. Elle n'est pas la fille de son père pour rien. Là ou de nombreux membres de sa famille ne la voient que comme une demi Howard, voire moins, elle ressemble pourtant bien plus à Cecil et à Louciane, à ce moment précis, qu'à sa mère qu'elle n'a quasiment jamais connu. Complètement obstinée, et prête à devenir particulièrement désagréable si on ne la laisse pas tranquille. Le tout sans le moindre remord. Et surtout, elle possède la même capacité que Louciane à devenir parfaitement irrationnelle, lorsque la santé de l'autre est impliquée.

Locaux du DCRM, 2015
Aujourd’hui, elle va se faire dépister. Cette après-midi, elle saura si sa mémoire fait partie de ces mutations qui agite les médias. Elle espère que non, qu’il ne s’agisse que d'un de ces rares cas de mémoire photographique. Qu’elle n’ait pas hérité des gènes de sa mère sur ce point. Si elle ne déteste pas les mutant contrairement à la majorité des membres de sa famille, elle ne tient pas non plus à voir autre chose qu’un Lambda marquer sa peau, dans le creux de son poignet.
L’anglaise observe le médecin qui prépare l’injection d’un œil méfiant. Pourtant, elle garde le silence, maintient une façade calme. Un frémissement la parcourt lorsque l’aiguille transperce sa peau. Son regard ne quitte pas le point d’injection, nerveuse au possible. Une légère rougeur apparaît, minime. Mais suffisante pour faire accélérer son cœur.

-Le résultat est négatif, mademoiselle Howard.
-Merci docteur, je vous souhaite une excellente journée.

Si son expression reste parfaitement neutre, son sourire poli aux lèvres, le soulagement l’a rapidement envahie. Et c'est le coeur bien plus léger qu'elle sort de l'établissement. Avec la confirmation que ses cousins n'auront pas une raison supplémentaire pour l'éjecter de la famille.

Maison de Louciane et Kaisa, 2016
Kaisa observe les informations, la mâchoire serrée. La politique mondiale concernant les mutants est parfaitement hétérogène, et cela ne semble pas s’améliorer. Les humains sont vite passés de la fascination à la crainte de ces pouvoirs qu’une poignée des leurs possède. La montée en puissance des traqueurs lui laisse un goût amer en bouche. Des êtres animés par la vengeance, ne faisant aucune distinction au niveau des mutations. La jeune Howard les méprise, les considère comme des paillassons, le tout, en s’excusant envers ces pauvres objets qui n’ont rien demandés à personne. Un rictus empli de dédain étire ses lèvres. Non clairement, de véritables idiots. Elle a presque honte pour eux.
D’un point de vue logique, la meilleure solution reste le recensement des mutations. Que les porteurs sachent les maîtriser pour ne pas causer d’accidents. Mais aussi la recherche d’un moyen de contrer ces pouvoirs, de les museler si l’individu n’est pas stable psychologiquement. Cela permettrait de retrouver un certain équilibre et d’éviter que les gens ne se tapent dessus dans la rue. Sauf que sa voix ne compte pas, après tout, elle n’est qu’une « demi Howard ». Sa famille ne l’accepte qu’à cause de Louciane. Sinon, ils auraient vite oublié son existence.  
Vane pose sa tête sur les genoux de sa maîtresse, ayant senti son humeur sombre. Les doigts fins lui grattouillent l’arrière du crâne dans un geste machinal. L’animal ne bouge plus, satisfait de recevoir une part de son attention. Et la jeune femme se détend peu à peu, calmée par la présence du husky.