Lorsqu'il poussa la porte d'entrée du cabinet de curiosités, Edward était partagé entre l'envie de tout saccager et celle de simplement refaire le portrait du propriétaire des lieux. C'est qu'il était remonté, le Seymour ! En colère, animé d'une rage que seuls ses yeux reflétaient, les mains tremblantes d'une ire qu'il allait bien devoir évacuer d'une manière ou d'une autre pour ne pas simplement imploser. Pourtant, les lieux étaient agréables, bien agencées, et l'on sentait tout le goût et le talent qu'avait déployé le propriétaire pour faire de sa boutique un lieu de mystère, de secrets et de fascination. En temps normal, Edward n'aurait jamais mis les pieds dans ce genre d'endroit, lui qui avait une sainte horreur de tout ce qui pouvait potentiellement transporter des germes... Lorsqu'il pénétra dans l'antre des fossiles, ses yeux tombèrent avec dégoût sur la dépouille empaillé d'un volatile, et il se prit à se demander combien de maladies l'animal pouvait bien transporter depuis sa mort. Choléra ? Tétanos ? Paludisme ? Tout autant de petits organismes qui faisaient se hérisser ses impeccables boucles châtain sur sa tête. Il n'y avait bien que la colère pour avoir mené Edward jusqu'ici ici... une colère sourde, froide, qui ne s'exprimait jamais avec fracas chez lui mais qui s'insinuait insidieusement comme un serpent dans les hautes herbes.

Les bras résolument figés le long de son corps, Edward pris garde à ne surtout pas effleurer la moindre vitrine. Il n'allait tout de même pas abîmer son beau costume, non ? Sous ses yeux, des rangées d'insectes soigneusement piqués sur du velours étalaient leurs formes et leurs couleurs. Pour n'importe quel amateur, l'endroit devait être un petit paradis mais non, décidément non, ce n'était pas fait pour Edward. Et si les objets entreposés lui filaient la chair de poule, ce n'était rien à côté de l'homme qui lui fit face lorsqu'il se retrouva face au comptoir.

Un mutant.

D'ordinaire, Edward se trouvait particulièrement conciliant avec les gens de son espèce. Contrairement à son frère, Calixte, Edward ne considérait pas les mutants comme des monstres à abattre, simplement des humains aux armes trop puissantes et incontrôlables pour ne pas être muselés. Derrière les barreaux, c'était là qu'il les préférait, ces abominations de la nature. Mais depuis les événements du Cosmic Ballroom, Edward commençait à revoir son jugement. Il commençait à se demander si un individu responsable de la mort de 5 personnes et des blessures de centaines d'autres méritait vraiment de continuer à respirer le même air que lui. C'était profondément discriminant et hautain de sa part de penser ainsi, c'était même se prendre pour Dieu que de croire qu'il avait droit de vie ou de mort sur l'un de ses semblables. Seulement, l'individu mystère s'en était pris à son frère et Rosamund... ses deux plus grandes faiblesses, celles qu'il préférait dénigrer que d'assumer. Si Rosamund était sortie de l'hôpital depuis une dizaine de jours, elle restait faible et garderait longtemps de profondes séquelles de l'incident. Quant à Calixte, le coma aurait pu le tuer... cette seule pensée ne fit qu'accroître plus encore la colère d'Edward qui se figea face à son interlocuteur.

Darwin Cavendish.

Encore un qui préférait se faire appeler par son second prénom, mais Edward ne comptait pas lui donner cette satisfaction. S'il prenait un malin plaisir à appeler son frère Henry, il pouvait bien continuer sur sa lancée en appeler le mutant tatoué Darwin.

« Darwin... bonjour. Je crois que nous allons avoir une petite discussion, toi et moi. »

La familiarité hautaine des gens de la haute société... leurs familles respectives s'enracinaient dans une noblesse ancestrale, noblesse qui les avait vu se lier par le mariage, quelques siècles auparavant. C'était le génome mutant qui les avait éloignés et désormais, on pouvait dire sans rougir que Cavendish et Seymour ne s'entendaient pas vraiment. Seulement, ne pas trop s'apprécier était une chose, avoir envie d'étriper son interlocuteur en était une autre.

Pourquoi Edward était-il si en colère ? Tout simplement parce qu'il avait appris de source sûre la nature de la mutation du grand tatoué et qu'il comptait bien éclaircir quelques points avec lui. Dans quelle mesure se maîtrisait-il ? Avait-il des revendications ? Se trouvait-il sur les lieux du drame en cette nuit du 1er mars ? Volontairement, Edward refusa de tendre la main à Darwin, de peur qu'il ne le contamine d'une manière ou d'une autre plus que par irrespect. C'est qu'il n'avait qu'une vague idée de ce dont il était capable, après tout ! Edward ignorait tout simplement l'ampleur que pouvait prendre la mutation de son interlocuteur.

« Nous nous connaissons depuis longtemps, toi et moi... alors je me suis laissé dire que tu pourrais peut-être m'aider. J'enquête sur une sombre histoire de meurtre au poison, tu as dû en entendre parler, non ? Une bonne partie de ta famille s'est précipitée à l'hôpital pour sauver les malades... »

Et il devait avouer que ça aussi, c'était louche. Entre cette histoire, l'angoisse et le manque de sommeil, Edward commençait à devenir paranoïaque et voyait des complots partout, ce qui le rendait plus imbuvable encore que d'habitude.

« On raconte que l'individu responsable du carnage serait un mutant capable de sécréter du poison, une drogue, de rendre malade... quelque chose dans cet esprit. Tu n'aurais pas une idée de qui il s'agit, par hasard ? »

Il n'y avait aucune accusation dans ses termes, mais le fait qu'Edward vienne jusqu'ici, sans s'être annoncé et dans un lieu qu'il fuyait depuis bien longtemps était suffisamment explicite : il venait pour des aveux, dans l'espoir fou que le responsable de l'attaque du Cosmic Ballroom soit bien un homme fait de chair et de sang et non le mirage que décrivait la presse depuis presque trois semaines.