Histoire de votre personnage

Est-ce qu’il ne serait pas temps de revenir un peu en arrière ? Faire le point sur toutes nos belles aventures jusque là. Sérieusement, tu écris ça comme si un jour, quelqu’un allait ton histoire, Octave. Comme si ça intéressait quelqu’un. Mais c’est je me dit que parfois, c’est peut-être de faire le point, même si je vais passer à un schizo à parler avec moi et moi-même. Mais je vous inquiétez pas, ils sont super sympa.

Si on veut remonter jusqu’au origines du problème, ça commence avec une rencontre, deux mutants, il est écrivain, elle est historienne, ils sont jeunes, ils sont beau, blablabla, le miracle de la vie. Ils rêvaient d’avoir deux enfants et bien, surprise ! Deux d’un coup, jackpot ! Ca évitera de se prendre la tête plus tard pour se souvenir des dates d’anniversaire. Organiser qu’une seule fête par an, c’est plus économique aussi.

Si vous saviez le nombre de fois où j’ai rêvé être fils unique. On passe notre temps à s’en envoyer plein la figure, mais dans le fond, je l’aime quand même ma soeur. Et je ne laisserai personne d’autre que moi l’insulter. On a tout partagé depuis le ventre de notre mère, il faut bien que sa donne quelques avantages. Même si, je vous l’accorde, si un jour on se retrouve dans une bagarre, il y a plus de chance pour que ce soit ma soeur qui me défende plus que le contraire.

Passons sur ce genre de détail. Franchement, on a pas eu une mauvaise vie. Malgré des parents souvent plongé dans leurs écrits et leurs recherches, j’avais ma soeur pour me tenir compagnie et avec qui faire toutes les bêtises du monde. Oui, on a toujours été insupportables. Mais étrangement, les moments préférés de mon enfances ne sont pas ceux là. Imaginez vous êtes dans votre maison,  au milieu de la campagne Galloise à quelques kilomètre de Cardiff, il est tard, le vent souffle, la pluie martèle les gouttières. Vous êtes blottis dans votre lit et votre père est assis sur le bord, un livre dans une main, de l’autre, c’est votre main qu’il serre.

Et c’est à ce moment que vous devez fermer les yeux. Sinon la magie opère moins bien. Alors vous fermez les yeux. Papa commence l’histoire, sa voix est posée et calme. Et au fur et à mesure qu’il parle, vous pouvez les voir. C’est comme un film, vous voyez les personnes s’animer, les monstres rugir, les héros courir dans tous les sens. Pas besoin d’un livre avec des images. Il vous suffit de votre imagination. A cette époque, je ne savais pas que mes deux parents étaient des mutants. Je pensais vraiment que ces images étaient mon imagination et pas qu’il s’agissait de cette de mon père qui me projetais ensuite ces images dans mon esprit. Mais ça reste mes souvenirs d’enfance favoris.

Avec ça, vous vous doutez bien que j’ai vite été un accroc de la lecture. On peut blâmer mes parents pour ça, clairement. Mais au moins, j’étais bien vu par mes professeurs à l’école. Et mes camarades ? Non, en primaire ça allait bien, nous étions dans une petit école de campagne, avec assez peu d’élève, et assez peu de problèmes. Tout le monde était ami avec tout le monde. Et dans le pire des cas, j’avais ma soeur. Le collège ça a été moins sympa par contre, parce que du coup ça signifiait Cardiff, débarquer dans une grande ville et mon petit moi de dix ans, n’était clairement pas près.

Mais ce n’était pas un mal non plus, parce que sans le collège et le lycée, je n’aurais jamais rencontré l’amour de ma vie : les mathématiques. Ok, je les connaissais déjà en primaires, mais entre ce qu’on apprend en primaire et dans le secondaire, vous en conviendrez que ce n’est pas le même genre d’amusement. Assez marrant de se dire d’ailleurs qu’avec deux parents au cerveau branché très littéraire, on arrive à obtenir une paire de jumeau addict et même sacrément bon en science. Ouais, on se disputait la tête de la promo chaque année. D’un sens, c’était drôle, ça rajoutait un peu de compétition à la maison et nous motivait à bosser plus. C’est pas tous les parents du monde qui ont la chance d’avoir des gosses qui bossent d’eux-même.

Après, évidemment, qu’on était pas la famille parfaite non plus. L’adolescence à bien finit par frapper et ce fut loin d’être de la tarte pour les parents. On ne les a pas ménagé. Mais je laisse votre imagination faire le reste. Et je vous avoue que je commence à en avoir un peu marre de décrire des parties de ma vie dont tout le monde se fout pas mal. Nous finîmes par déménager à la fin du collège. Direction Newcastle. Non, pas de problème particulier, juste, ça arrangeait mes parents. C’était chiant de quitter nos amis, notre collège, mais ce n’était pas comme si on avait eu le choix.

Alors voilà, j’ai débarqué, nouveau pays, nouvel établissement et là non plus, j’étais prêt. Je crois que je vais finir par nommer cette épopée “L’histoire d’Octave Huggins - Celui qui n’était pas prêt”. On pourrait presque faire graver ça sur ma tombe aussi tient. Bref, le lycée. J’ai tout de suite été catégorisé comme nerd chelou. Autant vous dire que je n’avais pas foule d’amis, mais une bande de quelques gens aussi bizarre que moi, ça m’allait bien. Puis il y a eu ce fameux jour. Oui, je sais que vous l’attendiez cette histoire, alors, la voilà :

Il était tard, j’avais fait des heures supplémentaires au lycée avec mes amis, attendez, on était en pleine partie de jeu de rôle papier, on ne pouvait pas arrêter en plein milieu d’un quête, comme ça. Bref, il était tard, je quittais le lycée pour rentrer chez moi. L’avantage d’avoir déménagé, c’est que maintenant, nous habitions en ville et je pouvais rentrer à pieds. Et à vrai dire, je suis plutôt mal placé pour vous raconter la suite de l’histoire. Parce que je me souviens du vélo qui a failli me rentrer dedans, je me souviens avoir glissé du trottoir, d’une douleur à la tête, puis à la main gauche et plus rien.

C’est qu’à mon réveil, à l’hôpital que j’appris que je m’étais cogné sévèrement la tête sur le goudron et qu’une voiture était passée à ce moment et m’avait roulé sur la main. Je sais, c’est ridicule, ça sonne impossible, mais c’est bien ce qu’il s’est passé. Et pourtant quand on me l’a raconté, j’avais comme l’impression de bien visualiser la scène mais du dessus. En rétrospective, je me dis que c’est peut-être ce jour là, ou j’ai expérimenté pour la première fois la projection astrale, mais que ça a été très bref, vu que j’ai perdu connaissance et mon esprit a sûrement rejoint mon corps en urgence.

En résumé, une voiture m’a roulé sur la main, impossible de la reconstruire, ou je-ne-sais-trop-quoi, on l’a amputé. Et ouais, on peut rire “roh c’est que la main gauche ça va !”. J’étais gaucher. Voilà. Le drame de ma vie. Sérieusement, ça a été un enfer au début. A la fois vivre avec une main, tout réapprendre à faire avec la main droite et le regard des autres. Ah bah, soudainement, j’étais populaire à l’école tiens ! Un enfer, je vous dit. Heureusement, cela ne m’empêcha pas de finir le lycée, ni même d’entamer des études en ingénierie mécanique. Et blablablabla… Rien de très intéressant, le bonhomme a fini diplômé, il a trouvé un job, et tout le monde était heureux dans le meilleur des mondes.

C’est en 2012 que les choses se sont corsées à nouveau, avec la “découverte” des mutants, vous savez. Quoique, personnellement, qu’est-ce que ça pouvait me faire ? Comme si ça allait changer grand chose dans ma vie d’apprendre quelque chose que je savais déjà. Puis il y a eu ces histoires de dépistages, quelques mois plus tard. Et déjà là, je rigolais moins. Mais bon, j’avais vingt-six ans, jeune ingénieur à peine actif, je ne voulais pas de problème. Alors j’ai pris mon rendez-vous. J’ai été malade comme un chien, on m’a classé ‘mutant’ et je pensais que cette histoire serait réglée.

Je ne pensais pas que le fait que je sois un mutant dérangerait autant mes collègues à vrai dire. J’avais l’impression d’être de retour au collège ou au lycée, avec ces regards, comme si j’étais un extraterrestre. Pourtant je n’étais pas le seul à bosser ici et à être un mutant non plus. Je fini même par être convoqué par mon supérieur, qui me fit bien comprendre qu’il me gardait parce que j’étais bon à mon job, mais au moindre débordement, je serais viré. Je vous avoue que je dû me retenir de lui demander ce qu’il craignait. Sérieusement, ce n’était pas comme si j’avais le pouvoir de brûler toute son entreprise. Non, moi, je suis juste le gars qui peut faire sortir son esprit de son corps. A la limite, je pourrais aller l’espionner sous sa douche, mais vu le type, ça donnait pas trop envie. Puis vous voyez pas l’énergie de dépenser que c’est pour si peu.

Donc au final, on peut dire que, pour un mutant, je me retrouvais plutôt bien lotis. Et tant mieux. Je n’avais vraiment pas envie de faire de vague. Et c’est toujours le cas. J’essaye de me tenir à l’écart des embrouilles. Vous voulez me tatouer pour m’afficher encore plus ? Et bien allez-y, faites vous plaisir. Au point où on en est, de toute façon. Mais c’est sûr qu’avec ces histoires de poison, il est difficile de rester serein. C’est le bordel ici. Si je n’aimais pas mon job, je serais sûrement déjà parti me carapater quelque part au Pays de Galles. Mais je ne suis même pas sûr que la situation soit meilleure là bas.