Tell me your story
01. Irina est la soeur jumelle de
@Nikola D. Stepanovic, née quelques minutes après lui. Elle était particulièrement chétive à la naissance, ses parents ont refusé de lui donner un prénom avant sa première année et elle a gardé longtemps la réputation de tomber facilement malade
02. contrairement à son frère, Irina n’a pas supporté l’enfance particulièrement pauvre que lui ont offert leurs parents, plus portés sur le don de soi et de tout ce qu’ils avaient que sur l’opulence. Pas de nouveaux vêtements neufs, pas de jouets neufs, les Stepanovic préféraient le recyclage de toutes leurs affaires, et garder toujours une porte ouverte aux nécessiteux ; si Nikola et Divna (de 4 ans leur cadette) ont adopté cette manière de vivre, elle a rapidement été insupportable aux yeux d’une Irina excédée d’être la risée de l’école et la moins bien lotie de son groupe d’amis.
03. à l’adolescence, Irina a commencé à s’affranchir de tout ça, à s’éloigner un peu de Nikola, à travailler l’école sans tenir ses parents au courant, pour s’acheter des fringues, aller au cinéma, dépenser son argent
pour elle et non faire comme son frère, le remettre à leurs parents pour qu’ils le donnent à d’autres ; à la même époque, elle a commencé à fumer, un peu, pas que des cigarettes, à traîner avec des garçons plus âgés ; parmi eux, Matthias.
04. Il avait vingt-cinq ans, il travaillait à l’épicerie en face du lycée, il avait une moto, des vestes en cuir, des tatouages et de piercing, il était beau et parfait, il était friqué - très important - rebelle et absolument pas comme les Stepanovic ; il a été son premier amour, Matthias. Sa première fois, aussi, quand elle venait d’avoir quinze ans. Il lui promettait de l’évasion, il lui promettait des voyages, ils ont commencé à mettre de l’argent de côté, ce qu’Irina gagnait et ne dépensait pas tout de suite. Leur histoire a duré sept, huit mois. Et elle s’est interrompue brutalement quand il s’est cassé, la laissant enceinte, seule et sans l’argent mis de côté.
05. profondément écoeurée et meurtrie, Irina est rentrée chez elle pour chercher auprès de ses parents une solution. S’ils lui ont ouvert les bras, retrouvant enfin leur fille qui s’éloignait d’eux depuis plus d’un an, le ton de la discussion s’est transformé en dispute dès qu’elle leur a appris sa grossesse. Ils voulaient qu’elle garde l’enfant, elle n’en voulait pas ; ils voulaient savoir qui était le père, elle ne voulait pas leur dire. Ils lui reprochaient ses dérives et son comportement, elle ne voulait pas les entendre. Ils voulaient lui tendre une main secourable, elle ne voulait pas la saisir, trop indépendante, trop versatile. Elle créa sans s’en rendre contre de la colère en eux, attisa leur agacement, créa en elle-même de la rancoeur, croissante : ce qui devait n’être qu’un appel à l’aide se transforma en règlement de compte et ce fut dans cette tourmente que Divna et Nikola rentrèrent de l’école.
06. Les mutations d’Irina et de Nikola, similaires dans leur nature, opposées dans leurs implications, se sont heurtées violemment, sans que les jumeaux ne comprennent ce qu’ils se passaient. Violence de création et de destruction, duel inconscient, la dispute a alors pris une nouvelle dimension et Irina, poussée à bout, exténuée, finit par partir en claquant la porte ; Nikola tenta de ramener le calme, supprima sans le vouloir toute trace de l’existence d’Irina dans la mémoire de ses parents et de Divna
07. Lorsqu’Irina revint quelques heures plus tard, ça ne fut que pour se découvrir étrangère ; elle crut que ses parents jouaient la comédie, insista et ne supporta finalement pas leurs sourires hésitants et gênés, comprit qu’elle était sans famille, sans argent, sans rien et prit la décision de partir définitivement. Nikola n’osa pas la retenir quand elle lui demanda de l’argent pour s’enfuir et au contraire, le lui fournit sans se faire prier, victime de ce
besoin d’aider qu’elle venait de créer en lui.
08. Les années qui suivirent, armée de son passeport anglais, de sa double-nationalité croate et anglaise, Irina voyagea : elle fit le tour du monde, voguant de petit boulot en petit boulot, ne se souciant que d’elle et de sa fille, Polina, et apprenant sans aucun remord à user et abuser de sa mutation. Cartes postales, lettres et mails lui permirent de garder contact avec Nikola, sans qu’ils n’évoquent à un seul instant l’attitude de leurs parents. En revanche ils parlèrent, beaucoup, du trouble qui les habitaient, Nikola accepta peu son anormalité, cherchant conseil auprès d’une Irina bien plus aventurière. Une Irina qui comprit, finalement, ce qu’il s’était passé. Année après année, les lettres se firent plus rares, les mails se firent moins longs, les jumeaux s’éloignèrent et perdirent contact, Irina ayant reconstruit sa vie ailleurs, dans une errance en Afrique, en Asie puis finalement de retour dans les Balkans, avec Polina qui grandissait.
09. C’est d’ailleurs pour Polina qu’Irina finit par se poser : avec sa mutation, elle se pose, elle s’impose, plonge dans l’illégalité et en tire profit, se fait des amis et des ennemis, tous dangereux, mais garde la certitude de pouvoir se sortir de tous les mauvais pas : elle n’a plus rien de la petite de seize ans abandonnée par son copain et malmené par son frère encore plus maladroit qu’elle. Bien au contraire, elle sait créer chez d’autres la peur, la douleur, des idées et des souvenirs construits de toute pièce. Elle ne peut pas lire les pensées ni même savoir les émotions des gens, mais elle peut leurrer les sens, imposer une terreur et elle n’hésite jamais à le faire : ses intérêts priment. Ils priment, jusqu’à un peu
trop primer, jusqu’à ce qu’elle perde le contrôle. Un jour, en rentrant chez elle, elle n’y trouve pas Polina. La demande de rançon, rançon exorbitante, dépassant du double des dettes qu’elle avait contractées, lui parvient rapidement.
10. Même si cela faisait des années que Irina naviguait à vue, l'enlèvement de Polina la laissa complètement désemparée et paniquée si bien qu’elle se tourna, désespérée, vers le seul qui avait une dette envers elle et, plus encore, les moyens de l aider : son frère.