Il y a des jours comme ça, où le destin semble jouer contre vous. Des jours où vous auriez mieux fait de rester couché. Rosamund avait eu une journée difficile. Depuis quelques temps, elle était troublée, sans trop savoir pourquoi et la nouvelle affaire sur laquelle on l'avait catapultée avec l'insupportable Edward Seymour n'arrangeait rien à l'affaire. Alors, pour ce changer les idées, ce soir là, elle était partie boire un verre dans un bar. Ils avaient dû quitter le bureau de bonne heure, à cause d'une quelconque réunion familiale à laquelle il ne pouvait déroger. Les joies de la vie d'aristo sans doute...

Rosamund avait décidé de se changer les idées dans un bar. Sur le chemin, elle s'était faite éclabousser par une voiture, ce qui la força à rentrer chez elle se changer. La couture d'un de ses pantalons, trop vieux, craqua quand elle le passa. Rosamund se trouva grosse. Elle pesta, enfila une robe pull confortable et ressortit en maudissant le monde entier. Elle choisit un petit troquet près du lac dont on lui avait dit du bien. Attentive à son régime alimentaire strict, elle demanda une bière non alcoolisée. L'homme sembla la regarder de haut, haussa les sourcils et farfouilla à l'arrière de son bar avant de lui apporter un grand verre empli de mousseuse.
L'avocate pris quelques minutes à comprendre que ce qu'elle buvait n'était pas ce qu'elle avait demandé. L'alcool lui monta rapidement à la tête. Elle se leva et hurla contre le barman et son inconscience. Elle le menaça de le poursuivre en justice s'il ne la remboursait pas immédiatement, agitant sous le nez de l'homme rougeaud son accréditation du palais de justice.
Ce n'était pas dans les habitudes de la belle blonde d'user de son statut mais elle ne pouvait pas tolérer les imbéciles qui faisaient fi des demandes alimentaires des clients en les prenants pour de simples mangeurs trop regardant sur leur nourriture.

Furieuse, elle s'en alla à grand pas. La tête lui tournait mais elle passa ça sur le compte de la colère. Elle poussa les portes d'un autre établissement, qu'elle fut soulagée de trouver désert. Un peu fébrile, elle se posa sur un siège près du bar et avisa l'homme qui se tenait derrière. D'à peu près son âge, relativement bien fait, un air plutôt craquant sur le visage.

- Bonjour... Je vais vous prendre... Euh...

D'une main tremblante, elle attrapa une carte des boissons. Son coeur faisait des va et viens dans sa poitrine alors que sa tête était sur le point d'exploser. Ses mains tremblaient considérablement et elle n'avait plus tout à fait les idées en place.

- Il me faudrait... Euh... Quelque chose de pas trop sucré et sans alcool de préférence...

Elle plissa les yeux, posa sa tête entre les mains. Ça n'allait pas. Elle se sentit soudain frigorifiée et la pièce lui donnait l'impression de tourner. Sans un mot, elle se leva en manquant de se casser la figure pour se diriger vers les toilettes, sans un mot au barman. Elle était incapable de parler de toute façon. Fébrilement, elle ouvrit la porte et ne pris même pas la peine de la refermer entièrement avant de fouiller comme une furie dans son sac, à la recherche de son étui médical. Elle ne parvenait même plus à l'ouvrir tant elle se sentait faible. Ses mains s'agitaient tellement que son sac et la pochette tombèrent sur le sol dans un grand bruit sourd alors qu'elle s'écroulait dans un coin, en tentant de se retenir tant bien que mal au lavabo de faïence.

Tout était flou autour d'elle. Le coeur de Rosamund pulsait à une vitesse hallucinante et elle avait l'impression que sa tête était sur le point d'exploser. Elle avait nettement plus l'habitude des crises d'hypo que d'hyper glycémie, elle qui faisait toujours attention à ce qu'elle mangeait et buvait. Jamais elle n'avait connu un choc aussi grave et brutal. Sa langue était si sèche qu'elle aurait cru qu'il s'agissait de carton pâte. Elle avait l'impression de sentir l'acétone à des kilomètres à la ronde.
Le tenancier du bar vint l'aider. Elle le vit farfouiller à moitié dans ses affaires et vider sa seringue d'insuline dans l'évier. Mais que fabriquait-il ?

Trop occupée à conserver son souffle, elle ne trouva pas le moyen de s'opposer à son action mystérieuse. Cependant, elle garda un oeil enfiévré sur lui, et cru halluciner quand un liquide sembla jaillir de ses mains pour remplir la seringue. Mais que faisait-il ? Est-ce qu'il l'empoisonnait ??
Instinctivement, l'avocate essaya de reculer en lâchant un râle de douleur mais rien ne put empêcher la piqure, qui se révéla même salvatrice. Progressivement, très doucement, elle sentit les douleurs s'atténuer et son métabolisme revenir à la normale, alors qu'elle se faisait à moitié porter sur une chaise. Elle resta de longues minutes dans le flou avant d'entendre enfin les mots que le barman lui adressait. Elle passa encore quelques longues minutes dans le silence, incapable de dire un seul mot. Comme si ses cordes vocales refusaient de s'activer. Elle se contenta de fermer les yeux, deux fois, pour lui montrer qu'elle l'entendait.

Enfin, elle réussit, après plusieurs minutes d'un effort intense, à articuler. Elle passa une main sur son visage pâle et reposa ses yeux noisettes sur son sauveur de la soirée.

- Oui je vais... Je vais beaucoup mieux, merci...

Elle lâcha un profond soupir et se redressa un peu dans son siège comme pour remettre ses idées en place.

- J'avais pourtant bien demandé à ce barman quelque chose sans alcool... Je savais bien que ça allait faire monter ma glycémie en flèche...

Le rose revenait progressivement sur ses joues. Elle replaça une mèche de ses cheveux blonds derrière son oreille et lui adressa un sourire confus.

- Vous m'avez été d'une aide précieuse, je ne saurais comment vous remercier... Je vous demande pardon, j'ai dû vous mettre dans une situation délicate.

Sans qu'elle ne le veuille vraiment, son regard dévia vers les mains de l'homme. Elle se demandait sincèrement comment il avait réussi à remplacer le liquide de sa seringue. Elle avait encore l'esprit trop embrumé pour être certaine d'avoir bien vu comment il s'y était pris... Et à aucun moment l'idée d'une mutation ne la traversa, tant elle était confuse. Il devait y avoir de la magie derrière tout cela... Mais elle n'osa pas lui demander son secret.

L'homme qui l'avait secourue semblait définitivement être quelqu'un de bien. L'avocate, doucement menée vers le bar, eut le temps de souffler et de se rasseoir tranquillement, pour reprendre ses émotions. Elle sourit quand il se présenta. Anakin Hawk... Décidément, ce prénom n'était pas commun ! Elle aurait bien demandé si ses parents aimaient la science fiction mais se ravisa, en se disant qu'il avait déjà dû entendre cette remarque des dizaines de fois. Aussi, elle se contenta simplement d'un sourire délicat, touchée par sa sollicitude, avant de lui répondre.

- Oh, enchantée ! Je m'appelle Rosamund Fraser. Je suis arrivée récemment à Killingworth. Et j'apprécie volontiers votre offre.

En passant une main dans sa chevelure blonde, elle sourit à son sauveur et haussa un sourcil à son interrogation. Si elle appréciait les fruits rouges... ? Cette question !? Rosamund le disait rarement, mais elle pouvait tuer pour une assiette remplie de ces petites choses. Quand elle était enfant, elle passait le plus clair de son temps dans le jardin de ses grands parents, à grignoter les baies à même le buisson. Tant mieux pour elle, ne disait-on pas que la fraise était le fruit des diabétiques ? Aussi, ce fut sans trop d'hésitations qu'elle répondit, avec un grand sourire.

- Oh, les fruits rouges ce sera très bien, je vous remercie !

Elle se rencogna un peu dans son siège pour finir de remettre de l'ordre dans ses idées. Maintenant qu'elle y repensait... Elle n'avait que de l'insuline dans son sac, comment avait-il pu lui donner du glucagon ? Elle se rappelait d'une viole ouverte et vidée dans l'évier et il lui semblait presque avoir vu du liquide sortir directement de ses mains... Mais en était-elle sûre ? Peut-être que son esprit confus avait tout mélangé. Néanmoins, parce qu'elle avait envie d'en avoir le coeur net, et que cela faisait toujours une excuse pour la conversation, elle décida d'en parler à son interlocuteur.

- Pardonnez moi si je me trompe mais... Comment avez-vous fait, tout à l'heure ? Pour le glucagon je veux dire... Je n'en avais pas dans ma trousse et je suppose que ce ne sont pas les choses que l'on entrepose normalement dans un bar !

Elle s'accouda en le regardant faire, soudain très intriguée par la personne qui se trouvait en face d'elle. Ses yeux marrons pétillaient de curiosité.

- Seriez-vous chimiste et magicien à vos heures perdues ?